Quatre jours après le revers subi par son parti aux législatives, le président turc Recep Tayyip Erdogan s'exprime pour la première fois jeudi à la faveur d'un discours devant la chambre de commerce d'Ankara.

Mercredi a été donné le coup d'envoi des consultations avec l'opposition pour former un gouvernement de coalition.

Le premier ministre islamo-conservateur turc Ahmet Davutoglu a annoncé que son parti allait ouvrir des discussions avec l'opposition, après les législatives qui l'ont privé de sa majorité absolue au Parlement.

Spectaculaire, ce résultat a sonné comme une défaite personnelle pour le chef de l'État qui pendant des semaines a foulé aux pieds la stricte obligation de neutralité que lui impose la Constitution pour soutenir son parti, l'AKP, et défendre sur les estrades l'instauration d'un régime présidentiel fort.

Après ces législatives dont les résultats ont sonné le glas d'une réforme qui lui aurait permis de prendre le contrôle total de l'exécutif, l'homme fort du pays s'exprimera jeudi pour la première fois en public, devant la chambre de commerce d'Ankara. Ce discours devrait donner une première idée de ses intentions et de son état d'esprit.

«Seul l'AKP (Parti de la justice et du développement) peut prendre la tête d'une coalition», a déclaré M. Davutoglu lors d'un entretien à la télévision publique TRT.

«Mais si les autres (partis) font de l'obstruction et ne parviennent pas à trouver une solution entre eux (...) alors nous irons à nouveau devant le peuple» lors d'élections anticipées, a précisé le chef du gouvernement.

Au pouvoir depuis treize ans, le Parti de la justice et du développement (AKP) est arrivé en tête du scrutin de dimanche en recueillant 40,8% des voix, en chute de près de dix points par rapport à son score de 2011 (49,9%).

Mais le parti du président Erdogan n'a obtenu que 258 des 550 sièges de députés, ce qui le contraint pour la première fois à la formation d'un gouvernement de coalition avec un ou plusieurs des trois partis de l'opposition.

Ces discussions s'annoncent comme un casse-tête, ces partis s'y étant jusque-là refusés.

«Négocier avec tout le monde»

«Je rencontrerai en toute sincérité chacun des partis d'opposition. Nous n'avons pas de ''ligne rouge''», a également indiqué M. Davutoglu, sous-entendant qu'il serait chargé de former la nouvelle équipe gouvernementale.

Le premier ministre a présenté mardi sa démission à M. Erdogan, qui l'a chargé d'expédier les affaires courantes jusqu'à la formation d'un nouveau gouvernement.

«Nous avons toujours dit que la coalition n'était pas la meilleure option, mais si le peuple a fait ce choix, ce qui nous incombe est d'en tirer le meilleur parti», a-t-il ajouté.

Les deux principaux adversaires de l'AKP, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) ont totalisé 132 et 80 sièges. Le parti prokurde HDP (Parti démocratique du peuple) a pour sa part réussi une performance historique en envoyant 80 députés à l'Assemblée.

Le chef de l'État s'est lui aussi déclaré favorable «à tout modèle de coalition», selon un influent membre de l'opposition, le député et ancien chef du CHP Deniz Baykal, qui l'a rencontré mercredi.

Au terme d'un tête-à-tête de plus de deux heures avec l'homme fort du pays, M. Baykal a affirmé que M. Erdogan souhaitait «la constitution dans les plus brefs délais d'un gouvernement de coalition» afin de sortir la Turquie de la période d'instabilité actuelle.

Même s'il a jugé «immoral» de l'évoquer dès maintenant, le premier ministre a clairement évoqué le recours à des élections anticipées en cas de blocage des discussions.

«Je négocierai avec toute le monde. Si rien n'en sort, ce pays ne sera pas dirigé par un gouvernement temporaire (...) nous retournerons devant le peuple et nous lui demanderons un nouveau mandat», a dit M. Davutoglu.

Le chef du gouvernement a également pris acte du refus par les électeurs de la réforme de la Constitution que souhaitait M. Erdogan. «Le peuple n'a pas donné à l'AKP le mandat de présidentialiser le régime», a-t-il dit.

«M. le président ne participera pas aux discussions en vue de former une coalition», a ajouté le premier ministre, «il est l'autorité qui pourra lever d'éventuels blocages».