Des centaines de milliers d'Arméniens ont commémoré vendredi les massacres perpétrés par les Turcs ottomans à partir de 1915, avec notamment à Erevan un hommage solennel en présence de Vladimir Poutine et de François Hollande, qui a appelé la Turquie à reconnaître ce génocide.

Après une cérémonie solennelle qui a réuni des délégations de près de 60 pays à Erevan, une foule émue d'Arméniens arrivés du monde entier est allée en procession se recueillir au Mémorial du génocide, déposant près de la flamme éternelle des monceaux de fleurs et des bougies.

Dans la soirée, une marche traditionnelle aux flambeaux a réuni des dizaines de milliers de personnes dans le centre de la capitale arménienne. Ses participants ont chanté des chansons patriotiques et brûlé un drapeau turc.

«Les Arméniens n'oublieront jamais ce qui s'est passé il y a un siècle. Nous voulons que la Turquie reconnaisse sa culpabilité et présente des excuses», a déclaré Sevan Gedelekian, Arménien de la diaspora venu spécialement du Liban.

«Certains de mes ancêtres ont disparu en 1915 et leur sort reste inconnu à ce jour», a ajouté Sousanna Tangian, une habitante d'Erevan.

Plus tôt dans la journée, François Hollande, chef du premier grand État européen à avoir reconnu, en 2001, le génocide arménien, a appelé la Turquie à enfin reconnaître le caractère génocidaire des massacres.

«Partage d'un destin» 

«Il y a en Turquie des mots, et des mots importants, qui ont déjà été prononcés mais d'autres sont encore attendus pour que le partage du chagrin puisse devenir le partage d'un destin», a affirmé le président français.

«Je m'incline devant la mémoire des victimes et je viens dire à mes amis arméniens que nous n'oublierons jamais les tragédies que votre peuple a traversées», a-t-il ajouté.

Pour Vladimir Poutine, «rien ne peut justifier des massacres de masse» qu'il qualifie de «génocide». «Aujourd'hui, nous nous recueillons aux côtés du peuple arménien», a-t-il déclaré.

La Turquie a sévèrement condamné ces propos du président russe, les qualifiant de «violation du droit».

Pour sa part, le président arménien Serge Sarkissian avait «remercié» les dirigeants étrangers présents, promettant que «rien ne sera oublié».

Des cérémonies ont également été organisées par la diaspora arménienne, de Los Angeles à Stockholm, en passant par Paris, Beyrouth, Téhéran ou Jérusalem.

Plusieurs milliers de personnes ont participé à des défilés commémoratifs à Marseille où vivent 80 000 à 100 000 descendants de la communauté arménienne.

À Istanbul, une centaine de personnes se sont réunies devant l'ancienne prison où furent détenus les premiers Arméniens arrêtés le 24 avril 1915, au moment de la rafle qui a marqué le coup d'envoi des massacres, d'une durée de deux ans.

Pour la première fois, un ministre turc a participé à une messe d'hommage célébrée au patriarcat arménien de l'ancienne Constantinople. «Nous respectons les souffrances vécues par nos frères arméniens. Nous sommes conscients de leurs épreuves», a déclaré le ministre des Affaires européennes, Volkan Bozkir, à l'issue de l'office.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a pour sa part réitéré ses «condoléances» aux victimes. «J'affirme que nos coeurs sont ouverts aux descendants des Arméniens ottomans de par le monde», a écrit l'homme fort de la Turquie dans son message.

Néanmoins, Ankara avait décidé de célébrer ce jour-là le 100e anniversaire de la bataille de Gallipoli, épisode meurtrier de la Première Guerre mondiale. Les combats avaient en fait débuté un 25 avril, soit samedi. Mais les autorités ont avancé les cérémonies, et certains chefs d'État ou de gouvernement ont choisi Gallipoli plutôt qu'Erevan.

Canonisation des victimes

Les Arméniens et des historiens estiment qu'un million et demi de personnes ont été tuées de manière systématique entre 1915 et 1917, pendant les dernières années de l'Empire ottoman. Une vingtaine de pays, dont la France et la Russie, et à commencer par l'Uruguay en 1965, ont reconnu le génocide.

La Turquie récuse ce terme, arguant d'une guerre civile en Anatolie, doublée d'une famine, dans laquelle 300 000 à 500 000 Arméniens et autant de Turcs sont morts.

Jeudi, l'Église apostolique arménienne a canonisé le million et demi de morts, soit la plus importante canonisation en nombre jamais décidée dans la chrétienté.

Le président allemand Joachim Gauck a le même jour reconnu le génocide, soulignant la «coresponsabilité» de l'Allemagne avec son allié ottoman à l'époque.

Cependant, le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier refuse toujours d'utiliser ce terme pour ces événements, selon un entretien qu'il a eu avec l'hebdomadaire Der Spiegel.

Barack Obama a quant à lui évoqué un «terrible carnage», évitant de parler de «génocide».

Auparavant, Ankara s'était irrité des déclarations du pape François, qui a prononcé pour la première fois le mot de «génocide» pour les Arméniens, et du Parlement européen qui a demandé à la Turquie d'en reconnaître la réalité.

L'Arménie, une ex-république soviétique, et sa nombreuse diaspora luttent depuis des décennies pour que ces massacres soient reconnus comme ayant constitué un génocide.