L'enquête judiciaire sur la mort de l'opposant russe Alexandre Litvinenko au Royaume-Uni pourrait être abandonnée, en raison de l'impossibilité d'examiner le rôle éventuel de l'État russe, a annoncé vendredi le coroner, le magistrat responsable de ces investigations.

Le gouvernement britannique ayant demandé à ce dernier, Robert Owen, de ne pas utiliser publiquement certains documents secrets, celui-ci a estimé qu'il risquait de ne pas être en mesure de procéder à une enquête «complète» et «juste sur les circonstances de la mort» de Litvinenko.

Jugeant que la question de l'éventuelle implication de la Russie «était d'une importance cruciale», il a souligné qu'écarter certains éléments était «un grave sujet de préoccupation» pour lui.

Les audiences dans le cadre d'une enquête judiciaire ou «inquest» qui vise à établir les circonstances exactes d'un décès en cas de mort violente ou inexpliquée sont publiques et les éléments de l'enquête sont examinés au grand jour.

Or, le ministère britannique des Affaires étrangères a demandé au magistrat de ne pas dévoiler au cours de l'inquest, qui devait débuter cet automne, certains éléments au nom de la sécurité nationale.

L'enquête judiciaire pourrait donc être remplacée par un autre type d'investigations permettant l'examen à huis clos de ces documents, a suggéré M. Owen.

Interrogé par l'AFP sur cette affaire, un porte-parole du gouvernement a simplement indiqué qu'il allait «étudier attentivement» les conclusions du coroner.

La veuve d'Alexandre Litvinenko, Marina, s'est dite «consternée» par cette décision, selon un communiqué transmis par ses avocats.

«Mme Litvinenko est absolument consternée par la décision du coroner d'abandonner sa quête de la vérité sur la responsabilité de l'État russe dans la mort de son mari», indique le communiqué.

«La conséquence de la décision prise aujourd'hui est de protéger ceux qui ont pris la responsabilité d'ordonner le meurtre d'un citoyen britannique dans une rue de Londres, et de permettre au gouvernement russe de se retrancher derrière une demande de respect du secret faite par William Hague (chef de la diplomatie britannique ndlr) avec le soutien du premier ministre David Cameron», regrette la veuve.

Un ami de la famille Litvinenko et de sa veuve, Alex Goldfarb, a lui aussi jugé ce rebondissement «profondément consternant».

«D'un autre côté, pour le gouvernement britannique, cela revient à admettre que l'État russe est coupable (...) En soi, c'est une victoire pour Marina», a-t-il estimé.

Alexandre Litvinenko, 43 ans, un transfuge du FSB (services de renseignement russes) réfugié au Royaume-Uni, avait bu un thé en novembre 2006 avec Andreï Lougovoï, un agent secret russe, et l'homme d'affaires Dmitri Kovtoun, dans un hôtel londonien. Il avait succombé peu après à un empoisonnement au polonium, une substance radioactive.

MM. Lougovoï et Kovtoun avaient laissé un sillage de radioactivité derrière eux en rentrant en Russie.

Selon l'avocat de sa veuve, Litvinenko travaillait pour les services secrets britanniques au moment de sa mort. Sa famille pense qu'il a été tué sur ordre du Kremlin.

L'affaire Litvinenko est un sujet de contentieux entre Londres et Moscou, en raison du refus de la Russie d'extrader Andreï Lougovoï, considéré par les enquêteurs britanniques comme le principal suspect de l'assassinat.

Ce dernier, aujourd'hui député en Russie, avait annoncé qu'il ne participerait plus à l'enquête judiciaire.

Celle-ci devait initialement débuter en mai, mais son ouverture avait déjà été remise à octobre, les autorités russes et britanniques tardant à fournir certaines des pièces demandées.

Il y a quelques mois, l'avocat de Marina Litvinenko avait accusé le Royaume-Uni de garder secrètes des informations concernant la mort d'Alexandre Litvinenko afin de ne pas affecter des accords commerciaux avec la Russie.