Une première ONG russe, Golos, a été condamnée jeudi à une amende pour ne pas s'être inscrite au controversé registre des «agents de l'étranger», marquant selon des experts le début d'une campagne visant à «neutraliser» les ONG déplaisant au Kremlin.

L'association Golos a été condamnée par un tribunal de Moscou à verser environ 300 000 roubles (9800 dollars) pour n'avoir pas respecté la nouvelle loi obligeant les ONG bénéficiant d'un financement étranger et ayant «une activité politique» à s'inscrire sur un registre «d'agents de l'étranger».

Ces ONG doivent ensuite se présenter en tant que tels dans toute activité publique.

La directrice de Golos, Lilia Chibanova, a été aussi condamnée à payer 100 000 roubles (3300 dollars) à titre personnel.

Golos, qui avait dénoncé des fraudes massives au profit du parti au pouvoir lors des dernières élections législatives et présidentielles, et Mme Chibanova ont annoncé leur intention de faire appel de cette décision «illégale et infondée».

Le ministère de la Justice a affirmé que Golos, qui s'est vu décerner en octobre 2012 le Prix Andreï Sakharov pour la liberté du Comité Helsinki norvégien, a de fait reçu un financement étranger.

Mais l'ONG a répondu avoir renoncé à ces fonds en raison de l'entrée en vigueur fin 2012 de la loi, des affirmations confirmées au tribunal par un représentant du Comité Helsinki norvégien.

Le département d'État américain, très critique à l'égard de Moscou sur les droits de l'homme et la société civile s'est dit «troublé» par la condamnation de Golos et par «d'autres lois récentes imposant des restrictions aux ONG en Russie». Les organisations Human Rights Watch et Amnesty International y ont vu «un signal alarmant pour le futur de la société civile en Russie».

Le terme d'«agent de l'étranger» était appliqué aux opposants réels ou supposés à l'époque stalinienne, qui étaient alors fusillés ou envoyés dans les camps. Il était aussi employé par les autorités soviétiques dans les années 1970 et 1980 pour qualifier les dissidents, accusés d'être à la solde de l'Occident.

«Neutraliser les organisations qui ne plaisent pas»

Pour l'instant, aucune ONG ne s'est inscrite au nouveau registre, qui concerne aussi bien des organisations de défense des droits de l'homme que des groupes écologiques, des communautés religieuses, ou même des associations d'aide aux malades.

Mercredi, les autorités russes ont ainsi exigé d'une ONG venant en aide aux personnes atteintes de la mucoviscidose qu'elle s'inscrive sur ce registre pour avoir reçu une subvention d'une ONG étrangère. Une responsable de cette association a affirmé à l'AFP qu'elle refusait de se plier à cette injonction.

Des observateurs craignent que si les ONG continuent de résister, cela ne permette aux autorités de lancer des poursuites non plus administratives, mais criminelles. Les sanctions prévues vont alors jusqu'à deux ans de camp.

Nombre d'associations pourraient aussi être contraintes de fermer.

«Nous pensons que cela va empirer», a déploré Arseni Roguinski, responsable de l'ONG Memorial, visée par la loi, estimant que cette législation allait être «utilisée contre des dizaines d'autres organisations».

«C'est une volonté évidente de neutraliser les organisations qui ne plaisent pas au pouvoir», selon l'analyste Dmitri Orechkine.

Depuis le retour au Kremlin du président Vladimir Poutine pour un troisième mandat, les groupes de défense des droits de l'homme n'ont cessé de dénoncer une répression accrue visant la société civile.

Human Rights Watch a même affirmé que la Russie de M. Poutine avait fait subir en 2012 à la société civile les pires répressions depuis la chute de l'URSS en 1991.

Jeudi, la rapporteuse spécial de l'ONU sur l'indépendance de la justice, Gabriela Knaul, s'est dite inquiète.

Le président Poutine a de son côté nié vouloir museler les ONG. «Qu'elles disent d'où vient leur argent! (...) En quoi cela est-il mal? Aux États-Unis, une telle loi existe depuis 1938», a-t-il dit lors d'une séance de questions-réponses avec la population, où il s'est également défendu de toute pratique rappelant l'époque stalinienne.