La Douma (chambre basse du Parlement russe) a adopté définitivement vendredi une loi interdisant aux Américains d'adopter des enfants russes, une décision qui inquiète les orphelinats et a provoqué l'indignation d'une partie de la société en Russie.

Le texte approuvé par une quasi-unanimité des députés (420 pour, 7 contre et une abstention) se veut une réponse à la «liste Magnitski» adoptée aux États-Unis, qui sanctionne des responsables russes coupables de violations des droits de l'Homme.

La nouvelle loi russe prévoit elle aussi de dresser une «liste noire» des Américains indésirables en Russie, soupçonnés d'avoir violé les droits des citoyens russes.

La diplomatie américaine s'est dit «préoccupée» par ce vote. «Ce qui nous inquiète particulièrement dans cette législation - ce que les Russes sont en train de faire - c'est d'empêcher effectivement des enfants de grandir dans un environnement familial de bonheur, d'amour et de respect», a déclaré le porte-parole du département d'État américain, Patrick Ventrell, qui a rappelé que 60 000 petits Russes avaient été adoptés par des Américains ces vingt dernières années.

Plusieurs responsables d'orphelinats russes ont également exprimé leurs regrets.

«Nous n'avons jamais eu aucun problème avec les parents adoptifs américains», a confié à l'AFP la médecin en chef d'un orphelinat de Moscou, Natalia Karanevskaïa.

«Ils ont adopté des enfants très malades, avec des troubles mentaux, des enfants de toxicomanes et d'alcooliques, d'autres atteints de la syphilis et d'hépatite. Les enfants de ce genre sont rarement adoptés par des Russes», a regretté Mme Karanevskaïa.

Avec cette loi, «une grande partie de ces enfants resteront dans les orphelinats», a-t-elle estimé.

De 2008 à 2011, 14 660 enfants ont été adoptés en Russie par des Américains, selon les chiffres fournis à l'AFP par le bureau du représentant du président russe pour les droits des enfants Pavel Astakhov.

Selon la même source, pendant la même période, 33 300 enfants ont été adoptés par des Russes. 728 enfants handicapés ont été adoptés par des étrangers et 137 par des Russes.

Les orphelins handicapés qui ne sont pas adoptés passent généralement leur vie dans des foyers et bénéficient d'un minimum de soins.

«Il ne fallait pas politiser cette question», regrette la médecin-chef d'un autre orphelinat pour handicapés à Moscou, Ioulia Talypova.

«Les parents adoptifs étrangers nous envoient régulièrement des rapports sur les enfants adoptés. Tous sont en vie et bien soignés», a-t-elle ajouté.

Le texte voté par la Douma, qui doit encore être approuvé par le Conseil de la Fédération (chambre haute) et promulgué par le président Vladimir Poutine, porte le nom de Dima Iakovlev, un enfant russe mort aux États-Unis en 2008 oublié par son père adoptif américain dans une voiture en pleine chaleur.

D'autres cas d'enfants maltraités par leurs parents adoptifs aux États-Unis ont été très médiatisés ces dernières années en Russie.

L'ambassadeur des États-Unis en Russie Michael McFaul a exprimé son «regret» après le vote de la Douma.

«Ce n'est pas les Américains qui souffriront de cette loi, mais les orphelins qui ne reçoivent pas de soins médicaux convenables en Russie», a affirmé à l'AFP une responsable de l'agence américaine d'adoption International Christian Adoptions, Ekaterina Smyslova.

Si la nouvelle loi est approuvée avant le Nouvel An par la chambre haute du Parlement russe et par le président Poutine, «elle entrera en vigueur le 1er janvier 2013», a indiqué à l'AFP M. Astakhov.

Selon lui, une centaine de demandes de citoyens américains qui veulent adopter des enfants en Russie sont actuellement examinées. «Si ces tribunaux ne se prononcent pas avant le 1er janvier, ces enfants resteront en Russie», a-t-il souligné.

La proposition de loi a provoqué de nombreuses réactions de réprobation en Russie, non seulement chez les ONG spécialisées et les humanitaires, mais aussi de la part du ministre de l'Éducation Dmitri Livanov et du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.

Mais Vladimir Poutine a jugé jeudi qu'il s'agissait d'une réponse «appropriée» à la liste Magnitsky.

Barack Obama a promulgué il y a une semaine la «loi Magnitski» qui interdit l'entrée aux États-Unis et prévoit de saisir les biens de responsables russes impliqués dans la mort en prison en 2009 à Moscou du juriste russe Sergueï Magnitski, ou dans d'autres violations des droits de l'Homme.