Ça avait commencé en Pologne avec les discussions de la table ronde, suivies des élections «semi-démocratiques» de juin 1989, à l'issue desquelles le régime communiste polonais a accepté de partager le pouvoir avec ses opposants. Puis, tout est tombé en cascade: le mur de Berlin, les régimes roumain, bulgare, tchécoslovaque...

Qu'est-ce qu'elle avait donc de spécial, cette année 1989, pour avoir ouvert la brèche dans laquelle le bloc soviétique s'est effondré tel un château de cartes? «Les économies de la plupart de ces pays étaient techniquement en faillite», répond l'historien Lorenz Luthi, de l'université McGill. À l'automne 1989, la République démocratique allemande devait renégocier sa dette avec sa voisine ouest-allemande, par exemple.

Et puis, il y avait le facteur Gorbatchev: le leader soviétique qui multipliait les signaux indiquant que les «pays frères» pouvaient décider de leur avenir sans craindre les chars d'assaut de l'Armée rouge.

La combinaison de ces deux facteurs - nécessité économique et absence de menace militaire - a engendré les révolutions en série et sonné la fin de la guerre froide. Où en est l'ancien «bloc de l'Est» 20 ans après cette année de libération?

Premier constat: les bouleversements de 1989 ont produit des résultats inégaux. Ils ont fait beaucoup de gagnants. Mais aussi quelques perdants.

À preuve, l'enquête de l'institut PEW, une firme de sondages américaine, qui a tâté l'opinion des habitants des pays d'Europe de l'Est à deux reprises depuis la chute du mur. En 1991, puis en 2009.

Globalement, les habitants de ces pays continuent à se réjouir de l'effondrement des régimes communistes. Mais moins qu'en 1991. Et à un degré qui varie selon les pays. Les plus satisfaits? Les Allemands de l'Est. Le taux d'approbation du virage démocratique est passé de 91% à 85% en 18 ans.

Les taux d'approbation sont demeurés très élevés en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie. Mais ils ont chuté de façon draconienne dans des pays tels que la Bulgarie, la Slovaquie, la Lituanie et la Russie.

La palme de l'insatisfaction revient à l'Ukraine. À peine 36% de ses habitants appuient toujours le virage vers le capitalisme (contre 52% en 1991). Et un infime 30% se disent heureux de vivre en démocratie!

Cela n'empêche pas les habitants des anciens «pays de l'Est» de juger que leurs conditions de vie se sont améliorées depuis 1991. Mais encore là, les résultats sont variables. Le taux de satisfaction est de 49% en République tchèque et de 44% en Pologne - mais ne dépasse pas 15% en Hongrie et en Bulgarie.

C'est comme si un nouveau mur, invisible celui-là, s'était reformé dans cette partie de l'Europe. D'un côté, des pays comme la République tchèque, la Slovaquie ou encore la Pologne - seul pays européen à vivre actuellement une croissance économique. De l'autre, l'Ukraine, la Roumanie, la Bulgarie et même la Russie. «Ces pays ont perdu toute une décennie, celle des années 90, ils ont laissé les anciennes élites communistes garder le contrôle», souligne Lorenz Luthi, qui participait à un colloque sur les 20 ans de la chute du mur organisé à la fin du mois d'octobre, à Montréal, par l'Institut polonais des arts et des sciences.

Les leçons de 1989

Quelles leçons peut-on tirer de l'expérience des deux dernières décennies? D'abord que ceux qui, comme Francis Fukuyama, avaient à l'époque cru à la victoire définitive du libéralisme économique se sont trompés. «La pression à la croissance et au profit est aussi très problématique, dit le géographe Peter Brown. L'idée qu'il y a un dénouement ultime et commun de l'Histoire est très présomptueuse.» On le voit avec la crise économique qui touche aujourd'hui l'ancien «monde libre».

Autre leçon, selon Lorenz Luthi: «On ne peut pas imposer le modèle démocratique. Chaque pays a son propre bagage, il doit mûrir pour se mouler à ce modèle.»

Leçon d'une grande actualité. Il n'y a qu'à regarder du côté de Kaboul...