Quand Kofi Annan a remis les rênes de l'ONU à Ban Ki-moon en janvier 2007, il lui a répété ce que son propre prédécesseur, Boutros Boutros-Ghali lui avait dit: c'est l'emploi le plus difficile au monde. À mi-mandat, comment s'en tire l'ex-diplomate coréen? Il nage dans un océan de critiques.

À la fin juin, le magazine Foreign Policy a marqué la mi-mandat du nouveau secrétaire général des Nations unies en publiant un article-bilan dévastateur intitulé «L'homme qui n'est nulle part. Pourquoi Ban Ki-moon est le Coréen le plus dangereux sur terre».

 

Le magazine dresse un portrait peu flatteur du diplomate de carrière qui occupait le poste de ministre des Affaires étrangères de Corée du Sud quand il a entrepris son mandat de secrétaire général. «À une époque où le leadership mondial est nécessaire, (Ban Ki-moon) s'est promené dans le monde, collectionnant les diplômes honorifiques, publiant des énoncés incroyablement faciles à oublier et gaspillant généralement l'influence qu'il peut détenir», écrit Foreign Policy.

Dans les semaines qui ont suivi, d'autres médias d'envergure ont ajouté leurs salves. «L'homme invisible des Nations unies», titrait le Wall Street Journal. «L'homme caméléon», qui prend la couleur de ses interlocuteurs, soient-ils dictateurs ou démocrates, a renchéri le magazine L'Express.

Bombe diplomatique

De l'extérieur, le no 1 de l'ONU n'a pas semblé affecté par ces critiques récurrentes, mais la dernière en lice, provenant d'une diplomate norvégienne, l'a obligé à briser le silence cette semaine.

Dans une note de service qu'elle a écrite à l'intention du ministre des Affaires étrangères de son pays, Mona Juul n'a pas mâché ses mots. Elle reproche au secrétaire général son manque de leadership, de charisme et de colonne vertébrale. Elle remet en question sa connaissance des dossiers chauds et note son manque de jugement lorsqu'il a décidé de se rendre en Birmanie en juillet pour se voir refuser l'accès à Aung San Suu Kyi. Elle dit aussi que des rumeurs circulent selon lesquelles la Maison-Blanche estime que Ban Ki-moon est «l'homme d'un seul mandat».

En principe, cette note de service devait rester secrète, mais elle a été publiée en entier dans le journal norvégien Aftenposten. Embarrassé, le ministre norvégien à qui était destinée la note de service a rappelé que le document n'avait rien à voir avec la position officielle du pays, mais le mal était fait.

Lundi, alors qu'il se préparait à se rendre en Norvège pour y visiter l'Arctique, Ban Ki-moon a répliqué: il a accueilli les «critiques constructives», mais croit qu'il est nécessaire de respecter la culture et le style de divers leaders. «J'ai mon propre charisme. J'ai mon propre style de leadership», note-t-il.

Dans des entrevues accordées à de grands médias, il dit privilégier la diplomatie tranquille aux grands éclats. Il rappelle qu'il a fait des changements climatiques un de ses principaux chevaux de bataille et qu'il travaille d'arrache-pied en ce sens.

Des journaux sud-coréens se sont lancés à sa défense, dénonçant le «racisme» voilé des récentes critiques, peu sensibles à la méthode douce préconisée dans la diplomatie coréenne.

Pouvoir limité

Qui dit vrai? Qui dit faux? Ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies, Paul Heinbecker croit que certaines critiques vont trop loin, notamment en accusant Ban Ki-moon d'inaction pendant le récent conflit au Sri Lanka. «Il ne faut pas oublier que ce n'est pas le secrétaire général qui est à la tête de l'ONU, ce sont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ban Ki-moon ne peut pas prendre des Casques bleus et les envoyer où il veut», note-t-il.

Pense-t-il pour autant que le huitième secrétaire général fait bonne figure à mi-mandat? «C'est difficile de voir ce qu'il a fait jusqu'à présent, tranche l'ancien diplomate, aujourd'hui affilié au Centre for International Governance Innovation. On peut dire que Ban Ki-moon est exactement ce que le Conseil de sécurité voulait qu'il soit: ils ne voulaient plus d'un secrétaire général qui prenait de la place comme Kofi Annan.»

Selon Nicolas Lemay-Hébert, directeur de l'Observatoire sur les missions de la paix de l'UQAM, le style de Ban Ki-moon n'est pas inconnu aux Nations unies. «Avec Ban Ki-moon, l'ONU revient un peu dans le passé. À la diplomatie tranquille que pratiquait Perez de Cuellar plutôt qu'au désir d'ingérence de Kofi Annan et de Boutros Boutros-Ghali», note l'expert. «Ban Ki-moon est plus secrétaire que général.»

 

Enfance sous les bombes

Né en juin 1944, Ban Ki-moon a vécu une enfance sous les bombes en Corée. Il a néanmoins réussi à faire de grandes études, obtenant notamment sa maîtrise de l'Université Harvard. Avant d'être nommé secrétaire général en 2007 et de succéder à Kofi Annan, il était ministre des Affaires étrangères de la Corée du Sud.