Dans le Caucase russe, la guerre fait rage entre les forces de l'ordre et les combattants islamistes, qui veulent l'instauration d'un émirat dans toute la région. Notre collaborateur s'est rendu dans la petite république d'Ingouchie, voisine de la Tchétchénie, où meurtres et disparitions font maintenant partie du quotidien.

Sur un petit kiosque abandonné de Nazran, plus grande ville d'Ingouchie, une inscription visiblement rédigée par des fossoyeurs: «Nous creusons des trous», suivie d'un numéro de téléphone. Sur d'autres murs du centre-ville, la famille de Magomed-Bachir Tcherbiev a placardé la photo du jeune homme de 19 ans, parti acheter des souliers un mardi matin et jamais revenu.

La mort et les disparitions n'ont plus rien d'étonnant en Ingouchie, autrefois plutôt calme comparativement à sa voisine tchétchène, ravagée par deux guerres.

Cette semaine, le ministre de la Construction a été tué dans son bureau. Le cinquième attentat contre un officiel ingouche de haut rang en moins de deux mois. Le 22 juin, c'est le président lui-même qui a failli y passer lors d'un attentat suicide à la voiture piégée.

Durant la première moitié de l'année, 166 personnes ont été tuées en Ingouchie, selon un décompte de l'organisation de défense des droits de l'homme Memorial. Le total se divise en trois catégories à peu près égales: policiers, combattants islamistes et citoyens pacifiques.

Erreurs de la Russie

Si les racines de la violence étaient uniques dans cette république du Caucase russe de moins de 450 000 habitants, elle serait peut-être plus facile à enrayer. Mais entre la menace de la guérilla islamiste, les crimes des forces l'ordre commis au nom de la lutte antiterroriste, les règlements de compte mafieux et la tradition caucasienne de «vengeance du sang», le journaliste local Vakha Tchapanov s'y perd.

«Les autorités accusent les wahhabites de tout et de rien, mais il n'y a pas de schéma clair pour expliquer cette violence.»

Pourtant, encore en 2001, rien ne laissait croire que la situation dégénérerait de la sorte, note Timour Akiev, analyste au bureau de Memorial à Nazran.

Il y avait bien à l'époque quelque 300 000 réfugiés tchétchènes entassés en Ingouchie, mais la lutte pour l'indépendance menée par les combattants cachés parmi eux trouvait peu d'écho parmi les Ingouches, historiquement plus fidèles à Moscou.

Selon M. Akiev, l'une des erreurs de la Russie aura été de donner carte blanche aux forces de l'ordre pour en finir avec la menace séparatiste tchétchène. Plus les exécutions extrajudiciaires - parfois d'innocents - se multipliaient, plus la solidarité entre musulmans se consolidait contre les «infidèles».

Jusqu'à ce que l'idée d'indépendance se transforme en projet islamiste de grand émirat. La guérilla n'a désormais plus de frontières dans le Caucase. «Lorsqu'on analyse la situation aujourd'hui, on ne peut plus séparer la Tchétchénie, l'Ingouchie et le Daguestan», souligne Timour Akiev.

Islamisme rassembleur

Dans un Caucase agraire, sans industrie et dépendant des subsides de Moscou, rejoindre la guérilla est devenu une perspective d'avenir pour plusieurs jeunes hommes. Ou un moyen d'échapper au harcèlement des policiers, qui enlèvent et parfois tuent ceux soupçonnés de sympathies islamistes. En toute impunité.

«À ma connaissance, au cours des huit dernières années, aucun agent n'a jamais été jugé pour ce genre de crime», souligne Vakha Tchapanov.

L'idéologie islamiste devient ainsi un élément rassembleur pour une partie de la résistance, alors que de plus en plus de jeunes prennent le maquis.

Malgré la situation, un espoir est né en octobre 2008: Iounous-Bek Evkourov, nouveau président ingouche nommé par Moscou pour remplacer le très impopulaire Mourat Zyazikov, accusé d'encourager l'impunité des forces de l'ordre.

«Evkourov a compris que tous nos problèmes ne sont pas seulement liés aux actions des combattants islamistes», dit M. Akiev. Il souligne toutefois que les mesures prises n'auront d'effets qu'à long terme. «Elles devront être jumelées à la création de nouveaux emplois, sinon elles seront inefficaces.»