Un juge russe a demandé vendredi la reprise de l'enquête sur le meurtre de la célèbre journaliste Anna Politkovskaïa, au lendemain de l'acquittement des suspects de son assassinat, alors que des défenseurs des droits de l'Homme craignent que le crime ne soit jamais résolu.

 

   «Etant donné que les jurés ont décidé que les frères (Djabraïl et Ibraguim) Makhmoudov et Sergueï Khadjikourbanov ne sont pas impliqués dans ce crime, l'affaire doit être renvoyée au Comité d'enquête du parquet russe, dans le but de retrouver les personnes impliquées», a déclaré le juge Evgueni Zoubov, chargé de l'affaire Politkovskaïa, cité par Interfax.

   Le magistrat a entériné vendredi le verdict des jurés qui avaient acquitté la veille à Moscou quatre complices présumés de cet assassinat, à l'issue d'un procès qui n'a pas permis de faire la lumière ni sur les motifs du crime, ni sur l'identité du commanditaire. Le Parquet a indiqué qu'il ferait appel.

   Les deux frères Makhmoudov, tchétchènes, soupçonnés d'avoir surveillé les déplacements d'Anna Politkovskaïa et d'avoir conduit sur les lieux du crime le tueur présumé, leur frère Roustam, en fuite, ont été libérés.

   L'ancien policier Sergueï Khadjikourbanov, soupçonné d'avoir organisé la logistique de l'assassinat, et l'ex-agent du FSB (Services fédéraux de sécurité) Pavel Riagouzov, jugé pour extorsion et abus de pouvoir, ont également été acquittés.

   L'Union des journalistes russes a salué dans un communiqué le lancement d'une nouvelle enquête. Même si le procès «s'est terminé par un échec total», il est maintenant impossible «d'éviter la question principale: qui a commandité le meurtre de notre camarade et collègue, et pourquoi», a estimé l'Union.

   Des défenseurs russes des droits de l'Homme ont cependant émis des doutes sur les chances de succès d'une nouvelle enquête.

   «J'aimerais croire que les coupables seront retrouvés, mais je ne suis pas sûre que ce sera le cas», a estimé Lioudmila Alexeïeva, présidente du groupe Helsinki, interrogée par l'AFP.

   «On peut déduire de l'enquête que le FSB surveillait Politkovskaïa. Si les enquêteurs sont autorisés à suivre cette piste, il y aura peut-être un résultat. Mais jusqu'à présent, les enquêtes sur les affaires dans lesquelles on voyait la main du FSB n'ont jamais abouti», a souligné Mme Alexeïeva.

   L'un des accusés, Pavel Riagouzov, ex-agent du FSB, a été dans un premier temps soupçonné d'avoir fourni l'adresse de la journaliste à ses meurtriers.

   «J'aimerais beaucoup que ce crime soit élucidé, mais malheureusement, depuis le tout premier jour, je suis très pessimiste quant aux perspectives de l'enquête», a déclaré Svetlana Gannouchkina, présidente de l'ONG Assistance civile, citée par l'agence Interfax.

   «Après une longue enquête et un procès, aucune personne impliquée dans ce meurtre n'a été punie. C'est absolument inadmissible, c'est une absence totale de justice dans une affaire qui a choqué le monde entier», s'est indignée Tatiana Lokchina, de la branche russe de l'ONG Human Rights Watch.

   Anna Politkovskaïa, journaliste à Novaïa Gazeta, une des rares à avoir continué de couvrir la guerre en Tchétchénie et les violations des droits de l'Homme, a été tuée par balle le 7 octobre 2006 dans son immeuble à Moscou.

   La presse russe a constaté «l'échec complet» de l'enquête. L'organisation de défense des droits de l'Hommme Amnesty International et le Comité de protection des journalistes (CPJ) ont demandé sa poursuite.

   Washington a appelé Moscou à rechercher les responsables «le plus rapidement possible» et la France a jugé «essentiel» que les auteurs de l'assassinat «répondent de ce crime odieux».