Des agents d’infiltration ont fait croire que la substance devait servir aux ambitions nucléaires de l’Iran

Le département de la Justice des États-Unis accuse le dirigeant d’une organisation criminelle japonaise, Takeshi Ebisawa, d’avoir tenté de vendre à un intermédiaire de l’uranium et du plutonium qu’il croyait destinés à la fabrication d’armes nucléaires en Iran.

L’intermédiaire en question, un agent de la Drug Enforcement Administration (DEA) se faisant passer pour un trafiquant d’armes, a prétendu qu’il était en contact avec un « général » iranien intéressé par une telle transaction.

Le général était personnifié par un autre agent de la DEA, qui a manifesté en 2021 lors d’un appel son intérêt pour le matériel fissile, précisant que son pays espérait s’en servir pour la production d’armes nucléaires.

L’opération, dans laquelle l’Iran n’a en fait joué aucun rôle, a semblé convaincre Takeshi Ebisawa, qui disait représenter un groupe ethnique birman ayant accès à de vastes réserves d’uranium.

Takeshi Ebisawa a fait valoir que des centaines de kilos du produit sous son contrôle pourraient être échangés contre une longue liste d’armes devant servir à l’insurrection en cours dans le pays asiatique.

Lors d’une rencontre tenue en février 2022 en Thaïlande, le trafiquant japonais et ses acolytes ont présenté aux agents de la DEA des pots en plastique contenant, selon leurs dires, un concentré d’uranium.

Ils ont été saisis et transmis aux autorités américaines, qui les ont fait analyser dans un laboratoire spécialisé.

L’examen a permis de déceler de l’uranium, du thorium ainsi que du plutonium de qualité militaire qui aurait pu effectivement servir à la production d’une arme nucléaire.

Lourde peine possible

Takeshi Ebisawa, qui était déjà détenu aux États-Unis en lien avec une affaire de trafic de drogue, fait face à une longue série de chefs d’accusation susceptibles de lui valoir une peine d’emprisonnement à vie.

Il est notamment accusé de trafic international de matériel nucléaire, punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de 20 ans.

La cheffe de la DEA, Anne Milgram, a déclaré par voie de communiqué mercredi que le comportement allégué de l’accusé japonais représentait un « exemple extraordinaire du caractère dépravé » de trafiquants « opérant sans aucun égard pour la vie humaine ».

Le procureur général adjoint, Matthew G. Olsen, a indiqué qu’il est « effarant d’imaginer les conséquences » que les efforts du trafiquant auraient pu avoir s’il avait effectivement vendu d’importantes quantités de matériel fissile pouvant servir à une arme nucléaire.

La mise en scène de la DEA va à l’encontre du discours officiel de l’Iran, qui a toujours nié le caractère militaire de son programme nucléaire, disant plutôt vouloir développer son expertise dans le domaine à des fins civiles.

Téhéran avait conclu en 2015 une entente avec plusieurs pays prévoyant notamment l’envoi à l’étranger des réserves d’uranium enrichi dont elle disposait pour éviter tout dérapage.

L’accord a été abandonné quelques années plus tard par les États-Unis, entraînant un regain de tension avec l’Iran, qui se voit aujourd’hui accusé d’enrichir de l’uranium près du seuil requis à des fins militaires.

Passible d’une lourde peine

Ali Vaez, spécialiste de l’Iran rattaché à l’International Crisis Group, note que le pays dispose de quantités d’uranium limitées pour répondre à ses « ambitions nucléaires déclarées » et pourrait venir à bout de ses réserves connues en faisant fonctionner une demi-douzaine de centrales nucléaires pendant une dizaine d’années.

Thomas Juneau, spécialiste du Proche-Orient de l’Université d’Ottawa, note que le régime iranien a mis en place des réseaux élaborés de contrebande pour répondre à ses propres besoins dans le domaine militaire et acheminer des armes et des composantes à ses alliés tout en contournant les sanctions internationales.

Des technologies requises dans le cadre du programme nucléaire ont notamment été obtenues de cette façon, note M. Juneau, mais rien ne permet de dire que c’est le cas pour du matériel fissile comme dans le scénario imaginé par la DEA.

Le recours au crime organisé était par ailleurs « plausible », note l’analyste, puisque Téhéran utilise de facto certaines organisations de ce type pour soutenir ses activités de contrebande.

La révélation récente par la justice américaine d’un complot visant à faire assassiner une militante iranienne établie aux États-Unis avec l’aide d’un Hells Angel canadien est une autre illustration des liens du régime avec le monde interlope, indique M. Juneau.