(Washington) Les autorités sanitaires américaines ont autorisé cette semaine la vente sur ordonnance de pilules abortives en pharmacie. Que change cette mesure pour les Américaines, dont beaucoup vivent désormais dans des États où tous les avortements sont de toute façon illégaux ?

Où étaient-elles vendues jusqu’ici ?

Pratiquer un avortement médicamenteux implique la prise de deux médicaments à un ou deux jours d’écart. le premier (mifépristone) bloque la grossesse, le second (misoprostol) déclenche les saignements.

C’est la première pilule, autorisée depuis 2000 aux États-Unis (désormais jusqu’à 10 semaines de grossesse), qui était jusqu’ici encadrée par de nombreuses restrictions.

Avant la COVID-19, elle ne pouvait être remise en personne que dans des lieux très spécifiques, notamment des cliniques pratiquant des avortements.

Durant la pandémie, après un recours en justice, l’Agence américaine des médicaments (FDA) a temporairement accepté qu’elle puisse être envoyée par la poste, y compris après une consultation en télémédecine.

Puis la FDA a annoncé en décembre 2021 lever de façon permanente l’exigence de remise en personne de la mifépristone. L’agence a alors demandé aux deux entreprises la commercialisant (Danco Laboratories, qui vend Mifeprex, et GenBioPro, qui vend un générique) de mettre en place un système permettant une plus large distribution. C’est ce qui a été approuvé cette semaine.

En quoi consiste le nouveau système ?

Désormais, toute pharmacie pourra vendre la mifépristone si elle signe un formulaire à renvoyer aux entreprises Danco et GenBioPro, garantissant notamment ainsi être en mesure de dispenser les pilules aux patientes en 4 jours maximum (si le médicament n’est pas directement stocké sur place).

La pharmacie doit aussi s’assurer que l’ordonnance vient d’un professionnel de santé certifié, médecin ou infirmière si l’État l’autorise.

Pour être certifiés, les soignants doivent eux-mêmes remplir un document dans lequel ils assurent entre autres être en lien avec un centre médical pouvant prodiguer des soins d’urgence si besoin. Ils doivent aussi faire signer à leurs patientes un formulaire de consentement.

Comme ils ne sont plus obligés de stocker eux-mêmes les pilules, davantage de médecins pourraient décider de se lancer.

Il s’agit d’un système « très décentralisé », a souligné auprès de l’AFP Kirsten Moore, directrice d’une organisation qui milite pour l’accès aux avortements médicamenteux. La FDA n’intervient pas du tout « dans la gestion au jour le jour ».

Pour la chercheuse Antonia Biggs, spécialiste de ces questions à l’université UCSF, ces certifications constituent une restriction « inutile », mais la décision de la FDA reste « un pas énorme » dans la bonne direction.

Quand les pharmacies se lanceront-elles ?

Difficile à prévoir. « Je dirais que dans les prochaines semaines et prochains mois, nous verrons de plus en plus » de pharmacies participantes, a déclaré à l’AFP Jenny Ma, avocate au Center for Reproductive Rights.

Deux grandes chaînes de pharmacies américaines, Walgreens et CVS, ont déclaré vouloir participer dans les États où c’est légal.

Quel impact dans les États où l’avortement est légal ?

Là où l’avortement est légal, cette mesure ajoute ainsi une troisième option pour obtenir ces pilules, outre les cliniques ou l’envoi postal. Cela pourrait permettre à certaines femmes d’avorter plus rapidement, sans attendre de les recevoir ou avoir à voyager jusqu’à une clinique parfois éloignée.

« Cela aidera énormément les personnes vivant à la campagne », notamment celles « ne pouvant pas payer les frais de transport », a souligné Jenny Ma.

Cela pourra aussi aider celles à qui l’envoi postal ne convient pas, comme « des jeunes » vivant chez leurs parents, « des personnes dans des relations violentes » ou « sans logement stable », a énuméré Antonia Biggs.

Et au-delà de ces aspects pratiques, « la vraie conséquence, c’est que cela déstigmatise les avortements » en rendant ce médicament accessible presque comme n’importe quel autre, a estimé Jenny Ma.

Quel impact dans les États où l’avortement est illégal ?

Depuis une décision de la Cour suprême l’été dernier, chaque État américain est libre de légiférer sur l’avortement. Une dizaine d’entre eux l’ont rendu illégal.

Dans ces États, les pilules abortives ne peuvent donc pas être vendues, et la décision de la FDA n’y changera rien. « Cela va rendre les disparités encore plus fortes » entre les États, a souligné Jenny Ma.

Malgré tout, pour les personnes décidant de voyager jusqu’à un État où l’avortement est légal, une pharmacie pourrait se révéler plus proche qu’une clinique, réduisant ainsi le temps de trajet.