(New York) Au lendemain de la fusillade qui a fait 5 morts et 18 blessés à Colorado Springs, le 19 novembre dernier, l’histoire de Richard Fierro a réchauffé le cœur des Américains encore capables d’être touchés par ce genre d’évènement.

Venu assister à un spectacle de drag queens au Club Q avec des membres de sa famille, le vétéran des guerres d’Afghanistan et d’Irak est passé en « mode de combat », pour utiliser ses mots, dès que le tireur a ouvert le feu sur la clientèle de cette boîte fréquentée par les membres de la communauté LGBTQ locale.

Il a réussi à le neutraliser en lui arrachant son fusil d’assaut et en le frappant au visage avec sa propre arme de poing. Tout ça pendant qu’une drag queen piétinait le tueur « avec ses talons hauts », selon la description du New York Times. Le duo a sauvé de nombreuses vies.

Mais certains Américains ont refusé le statut de héros à Richard Fierro.

« Sommes-nous censés ne pas parler du major de l’armée américaine qui emmène sa famille dans le club de drag queens local pour une soirée ? », a demandé Jack Posobiec, promoteur du Pizzagate, sur Truth Social et Telegram, deux plateformes où il compte plus de 960 000 abonnés.

« Les héros n’emmènent pas leurs enfants voir des spectacles de drag queens », a répondu un de ses abonnés sur Telegram.

Sur Gab, autre plateforme prisée par l’extrême droite, Fierro a été traité de « pédé » et de « groomer », expression décrivant les adultes qui s’approchent de mineurs et les manipulent à des fins sexuelles.

Richard Fierro était au Club Q avec sa femme, sa fille adulte et le fiancé de cette dernière pour applaudir une connaissance de sa fille.

PHOTO JACK DEMPSEY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le vétéran Richard Fierro, lors d’une conférence de presse le 21 novembre

Mais pourquoi les commentaires de Jack Posobiec et consorts, recensés par le site d’information Vice, sont-ils d’intérêt ? Parce qu’ils illustrent un climat qui n’est pas propre aux extrémistes de l’internet.

Ce climat fait également des drag queens une cible de prédilection pour certains élus républicains, dont la représentante du Colorado Lauren Boebert.

« À toutes les drag queens : ne vous approchez pas des enfants de la 3e circonscription du Colorado ! », a lancé Boebert en août dernier dans un tweet publié en réaction à la tenue d’une activité de lecture animée par des drag queens dans un centre communautaire de son État.

Cet avertissement ne détonnerait pas dans certains régimes autoritaires, dont celui de Moscou, où la Douma vient d’adopter une loi interdisant la « propagande » LGBTQ et dont l’un des effets serait de rendre illégaux les spectacles de drag queens.

Au Colorado, la police n’a pas encore fourni d’information sur les motifs du tireur du Club Q, où un spectacle de drag queens pour enfants devait avoir lieu le lendemain de la tuerie. Mais des activités semblables ont été la cible d’actes d’intimidation ou de violence au cours des derniers mois.

Une montée des violences

En juin dernier, des membres du groupe d’extrême droite Proud Boys ont perturbé des activités de lecture animées par des drag queens dans plusieurs bibliothèques publiques, dont celle de San Lorenzo, en Californie, où se trouvaient des enfants d’âge préscolaire et leurs parents. L’un des agresseurs portait un t-shirt avec le dessin d’une arme d’assaut accompagné de la légende « Tuez votre pédophile local ».

Le même mois, un homme armé s’est présenté à l’extérieur d’une bibliothèque où se tenait une séance de lecture du même genre à Sparks, au Nevada. Sa présence a semé la panique chez les parents et les enfants à leur sortie du bâtiment.

Ces épisodes parmi d’autres s’inscrivent dans une guerre culturelle dont l’origine remonte à la création de l’association Drag Queen Story Hour à San Francisco, en 2015. Association qui compte aujourd’hui plus de 30 sections, dont certaines se trouvent dans des États conservateurs.

Depuis, ses membres, qui se présentent comme « des clowns, mais en plus jolies », organisent des séances de lecture pour enfants dans des bibliothèques afin de promouvoir la diversité et la tolérance.

Or, aux yeux de leurs critiques, elles cherchent en fait à semer la confusion chez les enfants et à les éloigner des modèles traditionnels.

« La drag queen peut apparaître comme une figure comique, mais elle est porteuse d’un message tout à fait sérieux : la déconstruction du sexe, la reconstruction de la sexualité infantile et la subversion de la vie familiale de la classe moyenne », a écrit le mois dernier le militant conservateur Chris Rufo, dont le combat contre l’enseignement présumé de la théorie critique de la race dans les écoles primaires a exercé une grande influence sur le discours politique.

Après avoir promulgué la loi dite Don’t Say Gay, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, est l’un des politiciens républicains qui ont enfourché ce nouveau cheval de bataille. En juillet dernier, il a notamment poursuivi un restaurant de Miami qui proposait à sa clientèle, parmi laquelle se trouvaient des enfants, un brunch accompagné d’un spectacle mettant en scène des drag queens.

« C’est une tendance inquiétante dans notre société d’essayer de sexualiser ces jeunes gens », a-t-il dénoncé.

Des candidats républicains ont également exploité ce thème pendant la campagne pour les élections de mi-mandat. Au Tennessee, par exemple, ils ont promis de présenter au Parlement de l’État, dès le début de 2023, un projet de loi permettant d’accuser au criminel les drag queens qui se produisent en présence d’un enfant.

Un tel crime pourrait entraîner une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans.