Bien que l’administration américaine se dise furieuse contre l’Arabie saoudite après l’annonce récente d’une importante baisse de production pétrolière, elle paraît peu susceptible d’adopter des sanctions sévères contre le régime de Mohammed ben Salmane.

L’importance des liens entre les deux pays rend improbable une suspension des ventes d’armes ou encore le retrait des troupes américaines déployées sur le sol saoudien en appui au régime du controversé prince héritier, soulignent des analystes joints par La Presse.

« L’Arabie saoudite est un partenaire sécuritaire vital pour les États-Unis. Elle a besoin de nous et nous avons besoin d’elle. Elle le sait et nous le savons aussi », relève David Des Roches, professeur à la National Defense University, à Washington.

Selon lui, l’administration du président américain Joe Biden « a besoin » de projeter une image de fermeté face à l’Arabie saoudite à l’approche des élections de mi-mandat prévues en novembre et fait de l’esbroufe en réaction à la baisse annoncée, sous l’égide de Riyad, par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et dix pays associés (OPEP+).

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, est aussi d’avis que la montée de tension actuelle n’annonce pas une révision tous azimuts des liens qui existent depuis des décennies entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.

Joe Biden a déjà les mains pleines au niveau international et national. Des sanctions sévères contre Riyad donneraient satisfaction à l’aile gauche du Parti démocrate, mais il ne veut pas ajouter une crise d’envergure à ses préoccupations.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient

Avant d’être porté au pouvoir en 2020, Joe Biden avait promis de faire de Mohammed ben Salmane un « paria » en raison de son rôle dans l’exécution du journaliste Jamal Khashoggi, tué et démembré par un commando saoudien en 2018. Un rapport de la CIA a conclu que le prince hériter était directement responsable de l’opération.

La flambée du cours du pétrole et du gaz découlant de la guerre en Ukraine a cependant amené le président américain à revoir sa promesse. Il s’est rendu à Riyad en juillet lors d’un voyage controversé pour rencontrer le dirigeant saoudien et réclamer une hausse de la production de pétrole, ce qui serait susceptible de faire baisser les coûts énergétiques.

« Claque au visage »

La décision de l’OPEP+ de plutôt réduire sa production de deux millions de barils par jour a été très mal reçue à Washington, où plusieurs élus parlent d’une « claque au visage » pour le président.

Riyad maintient que la décision a été prise de manière consensuelle sur la base de prévisions économiques et des besoins des pays membres et non de considérations politiques.

Kaushik Deb, spécialiste du secteur énergétique rattaché à l’Université Columbia, note que les dirigeants de l’OPEP+ se montrent soucieux depuis des mois d’éviter que la « production excède la demande » et entraîne un effondrement des cours.

Plusieurs États ont souffert pendant des années du prix relativement bas du baril de pétrole et sont soucieux aujourd’hui d’accroître leur marge de manœuvre budgétaire en empochant de substantiels profits, dit-il.

Préférence pour les républicains

Raed Jarrar, porte-parole de Democracy for the Arab World Now, organisation fondée par Jamal Khashoggi avant sa mort, pense que le président américain a été berné par Riyad et en paie aujourd’hui le prix.

Le dirigeant saoudien, dit-il, cherche clairement à envoyer un message politique en pilotant une baisse de production susceptible de faire monter le cours du pétrole avant les élections de mi-mandat aux États-Unis.

« Joe Biden a fait des concessions à Mohammed ben Salmane […]. Et qu’a-t-il obtenu en échange ? Rien ! », relève M. Jarrar, qui réclame des actions concrètes contre Riyad.

David Des Roches est d’avis que le dirigeant saoudien a montré sa préférence pour le camp républicain en négligeant la demande du président démocrate.

[Mohammed ben Salmane] n’a pas confiance en Joe Biden et ne veut pas le voir renforcé par une décision de l’Arabie saoudite. Il veut précipiter sa sortie de scène.

David Des Roches, professeur à la National Defense University

Mohammed ben Salmane a aussi été accusé de vouloir soutenir la Russie, qui est membre de l’OPEP+, en contribuant à maintenir le cours du pétrole à un niveau élevé qui facilite le financement de l’offensive de Moscou en Ukraine.

Thomas Juneau note que l’Arabie saoudite a entrepris depuis longtemps de créer des liens avec d’autres acteurs géopolitiques importants, incluant la Russie et la Chine, pour réduire son niveau de dépendance par rapport aux États-Unis.

Aucun de ces pays ne peut cependant se substituer à court terme à Washington, qui apporte, dit-il, une aide cruciale au régime par ses ventes d’armes et son soutien militaire direct.

Riyad le sait, mais « fait le pari que les États-Unis ne seront pas capables de mettre leurs menaces de sanctions à exécution », conclut M. Juneau.