« Jour difficile », « recul pour le droit des femmes », « droit bafoué » : l’annulation du jugement Roe c. Wade vendredi par la Cour suprême a provoqué choc et indignation à travers le monde, mais aussi au Québec.

Ce que vous devez savoir

  • La Cour suprême des États-Unis a jugé qu’il n’y avait pas de droit constitutionnel à l’avortement.
  • Avec la décision Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, le tribunal à majorité conservatrice a annulé l’arrêt Roe v. Wade, une affaire historique de 1973 qui garantissait le droit des Américaines à avorter.
  • « La Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit », écrit le juge de la Cour suprême Samuel Alito. « Il est temps de rendre la question de l’avortement aux représentants élus du peuple » dans les parlements locaux.
  • À la suite de ce renversement, les États seront donc à nouveau autorisés à interdire ou à restreindre sévèrement l’avortement. Au total, 26 États devraient interdire la pratique.

« C’est un jour difficile pour des millions d’Américaines qui ne seront plus protégées par la constitution. Leur droit de choisir ne sera plus garanti », laisse tomber Valérie Beaudoin, chercheuse associée à la Chaire Raoul-Dandurand.

Cette décision ne rend pas les interruptions de grossesse illégales, mais donne la liberté à chaque État de l’autoriser ou non. De nombreux États, surtout dans le sud et le centre plus conservateurs et religieux, pourraient les bannir à plus ou moins court terme.

Pour Louise Langevin, spécialiste des droits à l’autonomie procréative de l’Université Laval, la journée du 24 juin marquera sans contredit « un recul pour les droits des femmes ». « Pauvres femmes. On pensait que c’était acquis. C’est très triste ce qui se passe. On est dans une période difficile, avec la montée de la droite un peu partout. On élimine des droits fondamentaux. Et ce sont les femmes qui écopent d’abord, évidemment », dénonce-t-elle.

« Cela dit, ça ne diminuera pas le nombre d’avortements aux États-Unis, estime la spécialiste. Ils vont simplement se faire autrement. Et les femmes qui ont les moyens vont aller dans les États où ça demeurera permis de se faire avorter », raisonne Mme Langevin.

Des impacts à l’échelle nationale

Les expertes s’inquiètent surtout que les femmes « plus pauvres, plus jeunes » ou encore racisées soient les plus touchées. « C’est dramatique, parce que ce sont les femmes qui sont plus défavorisées, isolées et marginalisées qui vont devoir payer le prix, parce qu’elles n’auront pas nécessairement les moyens de se rendre dans un autre État pour avoir une intervention », dit Mme Beaudoin.

« Ce ne seront pas les femmes blanches, éduquées et qui ont de l’argent qui en souffriront le plus, ça c’est certain », renchérit Mme Langevin.

Par ailleurs, on peut s’attendre à un flot de gens qui veulent se faire avorter dans les États plus progressistes, indique Mme Beaudoin. « Ça va être difficile, parce que ça va aussi restreindre l’accès des femmes en Californie, par exemple, parce que la demande va être beaucoup plus élevée », dit-elle.

Et ici, au Canada ?

« Il y a peut-être des gens qui vont venir au Canada, pour se faire avorter », indique Mme Beaudoin. C’est le cas principalement pour les provinces des prairies qui sont moins entourées d’états progressistes, explique-t-elle. Elle estime par ailleurs que la question de l’avortement reviendra dans le débat politique au Canada.

S’il faut certes « demeurer vigilants » au Canada, le droit à l’avortement demeure « blindé » de notre côté de la frontière, assure toutefois Louise Langevin. « Ça ne change rien à notre droit, qui est très clair au Québec et au Canada sur le sujet. Notre système de justice est aussi très différent. La Cour suprême aux États-Unis est éminemment politique. Et pour les Américains, la question de l’avortement est beaucoup plus clivante. Le contexte n’est pas du tout le même », affirme-t-elle, en appelant à être « solidaires » avec toutes ces femmes.

L’avocate et directrice générale de la clinique juridique Juripop, MSophie Gagnon, seconde l’ensemble de ces propos. « Les précédents sont beaucoup plus stables au Canada qu’ils ne le sont aux États-Unis. Aux États-Unis, ils vont chercher à interpréter la constitution au regard des Pères fondateurs. Au Canada, la théorie de l’arbre vivant qui veut que la Constitution évolue et s’adapte aux mœurs est très ancrée », dit-elle.

N’empêche, « le portrait n’est pas rose pour autant », rappelle MGagnon. On est le pays où le droit à l’avortement est le plus permissif juridiquement parlant, mais c’est insuffisant pour garantir l’accès à toutes les femmes qui le souhaitent. Au Nouveau-Brunswick, il y avait même eu une poursuite contre le gouvernement fédéral pour forcer le droit à l’avortement, parce que dans les faits, les cliniques ne sont pas accessibles. Sur le plan de l’accès, il y a encore beaucoup d’enjeux », fait-elle valoir.

Si « le Canada est à l’abri pour l’instant », l’avocate rappelle que « la force des institutions dépend de la confiance des citoyens, et de la qualité de l’indépendance des personnes qui y siègent ». « Ce n’est pas une garantie pour le futur. On ne peut jamais prendre ça pour acquis, surtout avec la confiance fragilisée envers nos institutions, dont le système de justice », prévient-elle.

Avec l’Agence France-Presse