(New York) En citant l’un des grands écrivains de son pays, Vladimir Poutine a peut-être trouvé le mot qui résume le mieux le premier sommet entre les présidents des États-Unis et de la Russie depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche.

« Léon Tolstoï a déjà dit : “Il n’y a pas de bonheur dans la vie, juste une lueur à l’horizon.” Je pense que dans cette situation, il ne peut y avoir de confiance dans les liens du sang, mais des lueurs de celle-ci se sont manifestées. »

Ainsi, tant le président américain que son homologue russe ont tenu mercredi des propos positifs sur leur rencontre de trois heures et demie à la Villa La Grange, située sur la rive gauche du lac Léman, à Genève.

« Il n’y a eu aucune hostilité », a déclaré Vladimir Poutine lors d’une conférence de presse tenue après le sommet, qui a duré moins longtemps que les quatre ou cinq heures prévues. « Au contraire, notre rencontre s’est déroulée dans un esprit constructif », a-t-il ajouté avant de saluer le « professionnalisme » de son vis-à-vis américain.

« Le ton de la réunion entière a été bon et positif », a déclaré de son côté Joe Biden lors de sa propre conférence de presse, organisée après celle du président russe.

« La dernière chose qu’il veut est une guerre froide avec les États-Unis », a-t-il ajouté en faisant référence à son interlocuteur.

De tels propos peuvent certes laisser entrevoir quelques lueurs d’espoir concernant l’avenir de la relation entre les États-Unis et la Russie. Mais le sommet de Genève n’a produit aucune avancée diplomatique ou stratégique majeure. Et il n’a rien caché des différends entre les deux pays sur plusieurs dossiers, dont les attaques informatiques et les droits de la personne.

« Nous répondrons »

« J’ai fait comprendre au président Poutine que nous continuerons à soulever les questions relatives aux droits fondamentaux », a déclaré M. Biden devant les journalistes, soulevant notamment le cas de l’opposant russe Alexeï Navalny, emprisonné après avoir été empoisonné. « J’ai fait ce que je suis venu faire. »

PHOTO VASILY MAXIMOV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’opposant russe Alexeï Navalny

Au cours de la rencontre, le président américain a par ailleurs remis à Vladimir Poutine une liste de « 16 infrastructures critiques » que son pays considérait comme « intouchables ».

« Je lui ai fait remarquer nous avons d’importantes cybercapacités, et il le sait. J’ai souligné que s’ils violent les normes de base, nous répondrons », a-t-il déclaré en conférence de presse.

De son côté, Vladimir Poutine a rejeté les accusations du renseignement américain selon lesquelles les attaques informatiques ayant ciblé les États-Unis récemment avaient été orchestrées depuis le territoire russe. Il a également rejeté les critiques concernant le bilan de son pays en matière de respect des droits de la personne.

« Il savait très bien qu’il était recherché, et il est revenu en Russie », a-t-il déclaré en faisant allusion à Alexeï Navalny. « Il voulait délibérément être arrêté. »

Vladimir Poutine a par ailleurs établi une comparaison jugée « complètement ridicule » par Joe Biden entre l’arrestation des émeutiers du Capitole aux États-Unis et l’emprisonnement des opposants russes.

Mais ces différends ne devraient pas obscurcir les aspects positifs du sommet, selon Michael Kimmage, ancien responsable au département d’État sous Barack Obama.

« [Vladimir] Poutine, qui a fait plusieurs déclarations critiques concernant la politique américaine, s’est montré très respectueux à l’égard de [Joe] Biden », a déclaré ce spécialiste des relations russo-américaines. « Il l’a décrit comme un homme moral, professionnel, quelqu’un avec qui il était facile de parler. De même, Biden, qui a critiqué la politique russe, a laissé entendre que Poutine était quelqu’un avec qui il pouvait parler, avec qui il pouvait faire des affaires. »

Un sommet « remarquable »…

« D’une certaine manière, cela peut sembler très peu spectaculaire, mais dans le contexte des relations entre les États-Unis et la Russie au cours des six derniers mois et des deux ou trois dernières années, c’est en fait remarquable », a ajouté Michael Kimmage, qui enseigne aujourd’hui l’histoire à l’Université catholique d’Amérique de Washington.

Les signes concrets d’un rapprochement entre les deux pays ont quand même été modestes. Vladimir Poutine en a dévoilé un lors de sa conférence de presse, annonçant que Joe Biden et lui s’étaient entendus sur le retour de leurs ambassadeurs respectifs. Ceux-ci avaient été rappelés plus tôt cette année pour consultations.

Le président russe a également soulevé la possibilité d’un « compromis » sur un échange de prisonniers. Et il a évoqué la mise en place d’un dialogue en matière de « cybersécurité ».

… mais Biden « pas confiant »

Fidèle allié de Donald Trump, le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham n’a pas été rassuré par la performance de Joe Biden à Genève.

« Je crois que le président Biden a mal calculé à qui il a affaire », a-t-il tweeté.

Le sénateur faisait référence à une réponse de Joe Biden à une question lancée par la journaliste de CNN Kaitlan Collins alors qu’il quittait l’endroit où s’était déroulée sa conférence de presse. « Comment pouvez-vous avoir bon espoir qu’il changera de façon d’agir ? », a-t-elle crié en parlant de Vladimir Poutine.

« Je ne suis pas confiant ! », a répondu Joe Biden, piqué au vif. Puis, en agitant son index en direction de la journaliste, il a ajouté : « Quand ai-je dit que j’étais confiant ? Ce que j’ai dit, c’est… ce qui changera leur comportement, c’est si le reste du monde réagit à leur égard et que cela diminue leur position dans le monde. »

La journaliste de CNN a enchaîné en demandant au président comment le sommet de Genève pouvait être qualifié de « constructif » après les propos de Vladimir Poutine niant les attaques informatiques ou les violations des droits de la personne.

« Si vous ne comprenez pas ça, vous êtes dans le mauvais secteur », a rétorqué Joe Biden sur un ton sec.

Un peu plus tard, il s’est excusé auprès de Kaitlan Collins avant de monter dans l’Air Force One qui devait le ramener à Washington après une tournée européenne de huit jours.