La décision récente d’un tribunal américain obligeant l’administration à relâcher un détenu d’origine afghane incarcéré sans accusation pendant 15 ans à la prison militaire de Guantánamo met en relief les limites juridiques de la « guerre contre le terrorisme » engagée à la suite des attentats du 11 septembre 2001.

Elle ne signifie pas pour autant que l’établissement controversé est condamné à fermer dans un avenir rapproché puisque le juge fédéral de Washington chargé du dossier d’Asadullah Haroon Gul n’a pas remis en question le fait que les États-Unis prétendent pouvoir détenir tout « combattant ennemi » lié aux talibans ou à Al-Qaïda tant que cette guerre mal définie perdure.

« La résolution de 2001 autorisant le recours à la force militaire contre eux reposait sur une définition exceptionnellement large de la notion de guerre, laquelle se poursuit donc en théorie 20 ans plus tard. Une fois que les tribunaux ont entériné ce principe, il est devenu extrêmement difficile pour les détenus de le contester », relève Daphne Eviatar, qui dirige le programme Sécurité et droits de la personne de la section américaine d’Amnistie internationale.

L’administration de George W. Bush espérait, en choisissant Guantánamo comme lieu de détention, priver les suspects de terrorisme de tout recours dans le système judiciaire américain.

La Cour suprême a cependant conclu en 2008 qu’ils pouvaient présenter une requête d’habeas corpus visant à contester leur détention sans accusation. Seule une poignée d’entre eux ont réussi à obtenir gain de cause depuis, et les verdicts favorables ont généralement été portés en appel.

Mark Maher, un avocat de l’organisation Reprieve qui soutient la cause d’Asadullah Haroon Gul, a bon espoir que les États-Unis vont se conformer cette fois-ci à la décision.

Le département de la Justice, dit-il, peut encore interjeter appel, mais une telle démarche semblerait « illogique » dans le dossier puisqu’un comité chargé de revoir la dangerosité du détenu a conclu parallèlement, il y a quelques semaines, qu’il pouvait être relâché sans que cela représente un risque pour les États-Unis.

La « fragilité des fondations légales »

Asadulah Haroon Gul, qui est âgé de 40 ans, avait été appréhendé en 2007 dans la ville afghane de Jalalabad et remis aux États-Unis, qui le décrivent comme un ex-commandant d’une milice islamiste liée aux talibans ainsi qu’un messager pour Al-Qaïda.

La milice en question a conclu un accord en 2016 avec le régime afghan soutenu par les forces occidentales, ce qui rendait difficile le maintien sur cette base de son statut de combattant ennemi.

Le département de la Justice, note M. Maher, a mis ce critère de côté devant le tribunal de Washington et plutôt cherché à étayer l’existence de liens entre Asadulah Haroon Gul et Al-Qaïda, sans réussir à convaincre le juge responsable.

La décision, note l’avocat, met en relief la « fragilité des fondations légales » sur lesquelles repose Guantánamo, mais ne profitera pas nécessairement aux autres détenus de l’établissement, qui en compte aujourd’hui 39.

L’ex-président Barack Obama avait promis à son entrée en fonction de fermer la prison, mais il n’y est jamais parvenu. Après quatre ans de statu quo sous la gouverne de son successeur, Donald Trump, le président Joe Biden a réitéré la promesse de fermeture, mais la situation évolue très lentement, déplore Mme Eviatar.

PHOTO LUDOVIC MARIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président des États-Unis, Joe Biden, a réitéré sa promesse de fermer la prison de Guantánamo.

« Au-delà de la déclaration de principe, on n’a pas vu beaucoup de gestes concrets », souligne la représentante d’Amnistie internationale.

Parmi les détenus restants, il a déjà été établi qu’une douzaine ne représentent pas un risque pour les États-Unis, et une quinzaine d’autres sont admissibles à une révision de cette nature.

Une dizaine de détenus, y compris des responsables présumés des attentats du 11 septembre 2001 comme Khalid Cheikh Mohammed, font face par ailleurs à des commissions militaires.

Le processus devant ces instances controversées est « extrêmement lent » et compliqué par le fait que la plupart de ces détenus ont été longuement torturés, ce qui rend leur témoignage problématique.

Sous l’administration Obama, le département de la Justice avait bon espoir, note Mme Eviatar, de pouvoir les faire condamner sur le sol américain avec des preuves n’ayant pas été obtenues par la torture, mais les élus républicains ont opposé une fin de non-recevoir à ce scénario.

Il est « absurde », dit-elle, de prétendre que leur transfert aux États-Unis serait problématique sur le plan sécuritaire puisque les établissements existants sont parfaitement capables de les prendre en charge.

Présenter des excuses

Dans une analyse parue dans Foreign Policy, un analyste de la Brookings Institution, Noha Aboueldahab, prévient, quoi qu’il advienne, que « les horreurs » de Guantánamo ne « vont pas disparaître simplement en fermant l’établissement ».

Les États-Unis, dit-il, devraient notamment présenter des excuses aux personnes qui ont été torturées et offrir une indemnité financière pour les abus subis.

Même s’il a aussi été torturé, la question ne figure pas pour l’heure parmi les préoccupations d’Asadullah Haroon Gul, qui veut retrouver sa famille « le plus rapidement possible », note Mark Maher.

« Il tente encore de prendre la mesure de la bonne nouvelle qu’il vient de recevoir après 15 ans d’enfer », conclut-il.

780

Nombre total de personnes ayant été détenues à Guantánamo

Source : Human Rights First