Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, est victime d’une procédure judiciaire abusive alimentée par la soif de vengeance de l’administration américaine et doit être libéré sans plus attendre, plaide Reporters sans frontières (RSF) en écho aux révélations d’une enquête journalistique percutante de Yahoo News.

L’enquête en question indique que les services de renseignements américains étaient prêts à tout pour mettre le grappin sur le militant controversé et ont pesé lourd dans la décision de l’administration de l’ex-président Donald Trump de réclamer son extradition à la Grande-Bretagne, où il est actuellement détenu.

« Ça vient renforcer l’idée qu’on a affaire à une vendetta », plaide Rebecca Vincent, représentante de RSF, qui presse l’actuel président, Joe Biden, de profiter de l’occasion pour renoncer à la poursuite des procédures dans ce dossier.

Yahoo News a rapporté il y a quelques jours que la CIA, sous la gouverne de Mike Pompeo, a planché en 2017 sur divers scénarios pour enlever Julian Assange, qui s’était réfugié cinq ans plus tôt dans l’ambassade de l’Équateur à Londres pour échapper à des allégations d’agression sexuelle. La possibilité de le faire assassiner aurait aussi été évoquée brièvement.

Les services de renseignements craignaient que la Russie cherche à enlever le dirigeant de WikiLeaks et avaient prévu par ailleurs diverses interventions, dont un affrontement armé entre agents secrets autour de l’ambassade, dans le cas où Moscou déciderait d’aller de l’avant.

Mike Pompeo, qui a quitté la CIA en 2018 pour devenir secrétaire d’État, était apparemment furieux du fait que Julian Assange et WikiLeaks avaient publié en ligne des informations confidentielles relativement au programme de cyberpiratage de la CIA.

PHOTO ERIN SCHAFF, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Mike Pompeo, ancien secrétaire d’État des États-Unis et dirigeant de la CIA, en juillet 2018

Lors d’une allocution publique prononcée en avril 2017, le directeur de l’agence a déclaré que l’organisation devait être considérée comme « un service de renseignements étranger hostile », une description juridique pensée pour donner au personnel de l’agence une latitude maximale pour agir.

Des mesures importantes ont été mises en œuvre pour surveiller les activités des principaux membres de WikiLeaks. Selon Yahoo News, les plans d’enlèvement, voire d’assassinat, ciblant Julian Assange ont été concoctés dans la foulée.

Le ministère de la Justice américain a été avisé qu’il était nécessaire d’aller de l’avant rapidement avec la mise en accusation du militant de manière à ce que son enlèvement ne survienne pas dans un vide juridique complet.

Le scénario ne s’est jamais concrétisé, mais un acte d’accusation a bel et bien été produit. Il est devenu public après que l’Équateur a décidé de permettre à la police britannique d’appréhender Julian Assange en 2019.

Jusqu’à 175 ans de prison

Le militant ne se voit pas reprocher son rôle dans la diffusion d’informations sur le cyberpiratage. Les accusations, qui pourraient lui valoir jusqu’à 175 ans de prison, portent plutôt sur son rôle dans l’obtention en 2010 par l’ex-militaire Chelsea Manning de documents sensibles relativement aux actions militaires américaines en Irak et en Afghanistan et de centaines de milliers de câbles diplomatiques subséquemment diffusés par WikiLeaks.

Mme Vincent note que ces fuites avaient profondément embarrassé et choqué l’administration de Barack Obama, qui avait renoncé à poursuivre Julian Assange après avoir conclu que ses actions étaient protégées par les dispositions constitutionnelles assurant la liberté de la presse.

Donald Trump, qui s’était réjoui lors de la campagne électorale en 2016 du fait que WikiLeaks diffuse des courriels dérobés à l’équipe de la candidate démocrate Hillary Clinton, a rapidement durci son approche une fois au pouvoir, de concert avec Mike Pompeo.

Au début de 2021, une juge britannique a refusé la demande d’extradition des États-Unis en relevant que Julian Assange souffrait de dépression et risquait de se suicider en cas de transfert aux États-Unis.

Elle a cependant cautionné au passage le bien-fondé des demandes américaines, arguant que l’accusé ne pouvait « être libéré de toute responsabilité criminelle simplement parce qu’il prétend qu’il agissait comme journaliste » dans ses interactions avec Chelsea Manning.

L’appel introduit par le ministère de la Justice américain doit être entendu à la fin du mois d’octobre.

Selon Mme Vincent, les révélations de Yahoo News concernant les projets de la CIA envers Julian Assange risquent de compliquer la tâche des États-Unis puisqu’ils doivent tenter de convaincre le juge que le militant sera protégé contre les abus en cas d’extradition et de détention prolongée aux États-Unis.

La seule façon d’assurer sa sécurité est de lui permettre de recouvrer dès maintenant sa liberté.

Rebecca Vincent, représentante de Reporters sans frontières, au sujet de Julian Assange

La principale organisation de journalistes de Grande-Bretagne opine dans le même sens et demande que la demande d’appel américaine soit rejetée « sans plus attendre » à la lumière des plus récentes révélations.

Daniel Ellsberg, qui est à l’origine de la diffusion des Pentagon Papers sur la guerre du Viêtnam, s’est aussi porté à la défense de Julian Assange au cours des derniers jours en relevant que les actes « criminels » posés par les services de renseignements américains justifiaient sa libération immédiate.