Oussama ben Laden a touché les États-Unis au cœur le 11 septembre 2001. Or, ses successeurs auraient fort à faire, 20 ans plus tard, pour réitérer un tel coup d’éclat.

Jason Burke, spécialiste en matière de terrorisme qui suit de près depuis des décennies l’évolution d’Al-Qaïda, pense que les conditions ayant permis le drame ont cessé d’exister « dès le 12 septembre », et qu’une nouvelle attaque d’une telle envergure sur le sol américain n’est pas près de se matérialiser.

La première erreur des États-Unis à l’époque, note l’auteur et journaliste, a été d’avoir sous-estimé la menace posée par le terroriste d’origine saoudienne et son organisation, même s’il avait clairement manifesté le sérieux de ses intentions.

Oussama ben Laden avait officiellement déclaré la guerre contre « l’ennemi lointain » et organisé dans les années 1990 des frappes meurtrières contre deux ambassades des États-Unis ainsi qu’un navire de guerre, s’imposant comme un sujet de préoccupation important à Washington.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE JASON BURKE

Les services de renseignements se sont cependant avérés incapables de faire le saut imaginatif requis pour envisager le 11 septembre 2001, une opération qui était à une tout autre échelle que ce qu’Al-Qaïda avait fait précédemment.

Jason Burke, auteur et journaliste spécialisé en matière de terrorisme

Le groupe terroriste disposait par ailleurs à l’époque, grâce à la protection assurée par le régime des talibans en Afghanistan, d’une base arrière d’où il pouvait planifier son action, la préparer et entraîner les membres du futur commando dans une « relative sécurité ».

L’intervention militaire américaine en appui à l’Alliance du Nord a privé Al-Qaïda de ce havre, mais un retour en arrière ne peut être exclu aujourd’hui à la suite du départ des derniers « GI » du pays et de la reprise en main du pays par les insurgés islamistes.

Plusieurs ténors militaires ont prévenu Washington que la chute de Kaboul pourrait permettre à des organisations terroristes de se reconstituer dans le pays et de se renforcer, accroissant du coup leur capacité de frappe à l’étranger.

James Forest, un spécialiste en matière de terrorisme rattaché à l’Université du Massachusetts Lowell, pense que les talibans vont cette fois se montrer beaucoup plus réticents à héberger Al-Qaïda ou une organisation apparentée.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L'UNIVERSITÉ DU MASSACHUSETTS LOWELL

Je pense qu’ils ont compris après les attentats de 2001 que le fait d’héberger un réseau terroriste international n’est pas très bon pour les affaires.

James Forest, professeur à l’Université du Massachusetts Lowell, expert en sécurité et en contre-terrorisme

M. Forest souligne que l’objectif premier des anciens insurgés est de contrôler l’Afghanistan, non pas de soutenir le djihad international.

La période ayant précédé l’attaque historique contre les États-Unis avait été marquée par un courant de radicalisation dans le monde islamique qui assurait à l’organisation un réservoir de recrues potentielles pour mener ses actions à terme, ajoute M. Burke.

Aujourd’hui, les paramètres ont changé en ce qui a trait à l’opportunité d’une attaque d’envergure, la capacité d’Al-Qaïda de la mener à terme ainsi que la volonté de ses dirigeants de frapper au loin, souligne-t-il.

Des pays sur le qui-vive

Les États-Unis, à l’instar des autres pays occidentaux, demeurent sur le qui-vive en matière de sécurité et ont sensiblement bonifié les ressources dévolues au contreterrorisme.

Cette vigilance accrue signifie que la difficulté et le coût à payer en matière de ressources matérielles et humaines pour espérer réussir une nouvelle attaque-surprise ont été démultipliés, ce qui constitue un frein.

Sous la direction d’Ayman al-Zawahari, qui a pris la tête d’Al-Qaïda après l’exécution d’Oussama ben Laden par un commando américain au Pakistan en 2011, l’organisation a choisi par ailleurs de se concentrer en priorité sur plusieurs pays musulmans à travers des organisations satellites.

C’est le cas notamment au Sahel, qui demeure une zone de forte instabilité.

Al-Qaïda a cherché à construire ses relations avec la communauté locale et les gens qui détiennent le pouvoir pour déployer ses racines et agrandir son influence.

Jason Burke

La haine des États-Unis et de l’Occident demeure vive au sein du mouvement, et l’objectif à long terme de créer un califat demeure, mais la priorité pour l’heure est d’agir localement, relève M. Burke.

Le recul du groupe État islamique

Le groupe armé État islamique (EI), qui a frappé les esprits en réussissant à prendre le contrôle de vastes pans de l’Irak et de la Syrie au milieu de la dernière décennie, est sur la défensive après avoir été forcé en 2019, sous forte pression militaire, de céder le terrain conquis.

L’organisation terroriste a certes réalisé un coup d’éclat en août en tuant plusieurs militaires américains à l’aéroport de Kaboul, mais elle dispose aujourd’hui de « peu de moyens » pour tenter de frapper en Occident autrement qu’en appelant des loups solitaires à passer à l’action, dit M. Forest.

Le centre de recherche Woodrow Wilson note que les reculs enregistrés par l’EI, qui a aussi perdu son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, en 2019, ont limité sa capacité de recrutement. Il compterait tout de même 10 000 combattants opérant sous forme de petites cellules en Irak et en Syrie.

À l’instar d’Al-Qaïda, l’organisation cherche à s’implanter sur plusieurs autres fronts et a déployé des hommes, avec un succès variable, dans des pays en conflit, comme la Libye, le Yémen et l’Afghanistan.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Membres du groupe armé État islamique défilant en Libye, en 2015

Là encore, note Jason Burke, la priorité est donnée à l’action locale plutôt qu’aux attaques contre les États-Unis ou au rétablissement à court terme du califat.

Les dirigeants de l’EI, note-t-il, adoptent une approche « pragmatique » qui tient compte des ressources limitées dont ils disposent et de la complexité de leur situation.

« On ne peut exclure que les difficultés actuelles les amènent à vouloir compenser par une action spectaculaire [sur le sol américain], mais ce n’est pas le scénario le plus probable. Ils ont assez d’ennuis à gérer », conclut-il.