Le gouvernement américain aurait tort de conclure qu’il a rempli son devoir en évacuant dans l’urgence des dizaines de milliers d’Afghans au cours des dernières semaines, selon des organismes d’aide aux réfugiés. Il doit plutôt redoubler d’ardeur pour protéger de la foudre des talibans ceux qui n’ont pu partir.

« L’histoire ne nous jugera pas sur le nombre d’Afghans que nous avons pu sortir du pays à la dernière heure, mais plutôt sur le nombre que nous avons laissés derrière », a prévenu mardi Krish O’Mara Vignarajah, qui chapeaute une organisation luthérienne d’aide aux immigrants et aux réfugiés.

« La mission est loin d’être terminée puisque notre responsabilité morale ne s’arrête pas avec la fin de notre présence physique en Afghanistan », a ajouté l’administratrice au cours d’une conférence de presse virtuelle dans laquelle de nombreux militants américains ont dressé de concert un tableau alarmant de la situation dans le pays.

« Alors que nous menons une discussion bizarre sur le régime taliban 2.0, leurs actions sur le terrain disent clairement à quoi il faut s’attendre », a indiqué Michael Breen, qui dirige Human Rights First.

Ce qu’on entend, c’est que les talibans vont de porte en porte et tuent dans la rue les gens [considérés comme des traîtres].

Michael Breen, qui dirige Human Rights First

M. Breen demande à Washington d’utiliser les leviers dont il dispose, notamment sur le plan économique, pour favoriser l’aménagement de corridors humanitaires permettant aux personnes à risque de quitter le pays.

Joseph Azam, qui dirige la Fédération afghane-américaine, a indiqué que les membres de son organisation avaient recueilli de nombreux témoignages faisant état d’exécutions sommaires, de passages à tabac et de mariages forcés de jeunes filles alors que les talibans multiplient officiellement les déclarations de bonne foi.

Nous ressentons la douleur, nous voyons le sang, nous entendons les cris.

Joseph Azam, directeur de la Fédération afghane-américaine

Cet ancien réfugié insiste notamment sur la nécessité de venir en aide aux Afghans ayant voulu « soutenir les valeurs et les idéaux américains ».

« Par l’entremise de la diplomatie »

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a assuré au cours des derniers jours que son pays entendait maintenir la pression sur le régime taliban pour garantir que ceux qui le désirent puissent quitter le pays. « La demande internationale à ce sujet est forte et elle va rester forte », a-t-il affirmé.

PHOTO JONATHAN ERNST, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Antony Blinken, secrétaire d’État américain

Le président Joe Biden, lors d’une allocution télévisée, a indiqué mardi dans la même veine que son pays continuerait de soutenir les Afghans « par l’entremise de la diplomatie ».

L’appel lancé par de nombreuses organisations américaines d’aide aux réfugiés survient alors que Washington a fort à faire pour gérer les dizaines de milliers d’Afghans déjà évacués depuis deux semaines. Nombre d’entre eux ont été temporairement répartis dans des bases militaires situées en Europe et au Moyen-Orient.

L’administration américaine, qui n’a pas chiffré le nombre de réfugiés qu’elle entendait réinstaller sur son propre territoire, a demandé à plusieurs pays alliés de l’aider à prendre en charge les Afghans évacués, de manière temporaire ou permanente.

Accueil des réfugiés

Le Canada, qui avait déjà annoncé son intention d’accueillir 20 000 réfugiés afghans en réaction à la crise, a indiqué mardi qu’il en recueillerait 5000 parmi les personnes évacuées par les États-Unis.

Janet Dench, qui chapeaute le Conseil canadien pour les réfugiés, estime que le total de 20 000 annoncé par Ottawa constitue « un beau chiffre », mais passe sous silence le fait que nombre d’Afghans susceptibles d’être accueillis au pays dans ce contexte le seraient déjà si le Canada « n’avait pas autant traîné la patte », notamment en matière de regroupement familial.

Les délais de traitement des dossiers découlent en partie de considérations politiques, relève Mme Dench, qui s’alarme de constater que bien des pays ayant les moyens de venir en aide aux Afghans se montrent peu disposés à leur tendre la main.

Le Pakistan, qui a déjà accueilli des millions de réfugiés du pays par le passé, l’Iran ainsi que la Turquie ont exprimé publiquement leurs réserves face à un nouvel afflux de ressortissants afghans.

Plusieurs États membres de l’Union européenne (UE) échaudés par la crise des réfugiés syriens de 2015 évoquent des réserves similaires.

« Nous devons travailler à l’échelle mondiale pour garder les gens près de chez eux et de leur culture », a déclaré mardi le ministre de l’Intérieur de l’Allemagne, Horst Seehofer, lors d’un sommet tenu à Bruxelles.

Selon l’Agence France-Presse, les dirigeants de l’UE ont annoncé à cette occasion leur volonté d’accroître l’aide financière aux pays limitrophes de l’Afghanistan pour leur permettre d’offrir aux réfugiés « des conditions d’accueil dignes et des moyens de subsistance durables ».