(New York) Quelques heures après l’effondrement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001, Donald Trump s’est fameusement empressé de se vanter que l’un des joyaux de son empire immobilier, le 40 Wall Street, était désormais le plus haut gratte-ciel du sud de Manhattan.

Il se trompait, ou tentait de tromper le public. Malgré ses 71 étages, le 40 Wall Street, aussi appelé le Trump Building, concède environ huit mètres au 71 Pine Street, tour avoisinante. Mais la comptabilité n’a jamais été le fort de l’ancien président. Ou plus précisément, elle n’a jamais semblé nécessiter la plus grande rigueur ou honnêteté à ses yeux.

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Le 40 Wall Street, aussi appelé leTrump Building, à New York

Et le 40 Wall Street pourrait le démontrer d’une autre façon. En 2019, un expert-comptable agréé a été invité par le site d’information ProPublica à examiner des documents concernant cette tour. Certains d’entre eux avaient été présentés par la Trump Organization aux autorités fiscales de New York, les autres, à une institution prêteuse.

« Ce qui était évident pour moi, c’est qu’il y avait deux jeux de registres comptables, deux séries de chiffres qui ne pouvaient pas correspondre », a expliqué à La Presse Kevin Riordan, expert-comptable agréé, également professeur d’immobilier commercial à l’Université d’État de Montclair, au New Jersey.

Les chiffres du côté des taxes étaient tellement plus bas qu’ils ne l’étaient du côté des prêts.

Kevin Riordan, expert-comptable agréé et professeur d’immobilier commercial à l’Université d’État de Montclair

En faisant allusion aux autres documents financiers obtenus depuis par le procureur de Manhattan Cyrus Vance, il a ajouté : « J’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose là. »

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Le procureur de Manhattan Cyrus Vance arrive à son bureau, à New York, jeudi

Le procureur de Manhattan est évidemment du même avis. La semaine dernière, il a lancé les premières poursuites dans le cadre de son enquête sur les affaires de Donald Trump. Il a notamment accusé la Trump Organization d’avoir participé à un stratagème frauduleux pour aider son directeur financier, Allen Weisselberg, à dissimuler au fisc 1,7 million de dollars d’avantages en nature, entre 2005 et 2021.

Mais après ce coup de semonce, engagera-t-il également des poursuites contre Donald Trump ?

« La pointe de l’iceberg »

« Prédiction : les charges retenues aujourd’hui à Manhattan sont la partie émergée de l’iceberg », a tweeté jeudi dernier Andrew Weissman, ancien chef de la section des fraudes criminelles du département de la Justice des États-Unis. Michael Cohen, ancien avocat personnel de Donald Trump, a utilisé la même métaphore. Sa crédibilité n’est pas incontestable, mais son témoignage de février 2019 devant le Congrès a guidé l’enquête du procureur de Manhattan, de même que celle de la procureure générale de l’État de New York Letitia James.

« D’après mon expérience, M. Trump a gonflé le total de ses actifs lorsque cela servait ses intérêts et dégonflé ses actifs pour réduire ses impôts fonciers », a-t-il déclaré sous serment.

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L’ancien avocat personnel de Donald Trump, Michael Cohen, au Capitole, à Washington, en mars 2019

Le 40 Wall Street pourrait vraisemblablement servir d’exemple de ce stratagème. En décembre 2011 et en juin 2012, respectivement, la Trump Organization a indiqué à une institution prêteuse que 99 % et 98,7 % de l’espace commercial de la tour était occupé. Or, dans ses déclarations fiscales, elle a établi à 83 % le taux d’occupation de l’immeuble en janvier 2012 ainsi qu’un an plus tard, selon des documents obtenus par ProPublica grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

Ces différences importantes participaient-elles d’une intention criminelle ? « Sans les états financiers sous-jacents, je ne peux pas dire que c’était criminel », a répondu Kevin Riordan en parlant des chiffres qu’il a examinés. « Je dirais plutôt que l’individu qui a pris cette position et déposé ce dossier [devant les autorités fiscales] était très agressif par rapport à la position qu’il a prise dans le document d’emprunt. »

Fait à noter : Jack Weisselberg, l’un des fils d’Allen Weisselberg, était responsable des prêts chez Ladder Capital, l’institution qui a fini par refinancer l’emprunt de la Trump Organization pour le 40 Wall Street.

D’expert à ignorant

Depuis les révélations de ProPublica, le procureur de Manhattan a donc mis la main sur les déclarations de revenus de Donald Trump sur huit ans, de 2011 à 2018, ainsi que celles de la Trump Organization et d’autres documents financiers.

À en croire Michael Cohen, qui a été interviewé à de nombreuses reprises par les enquêteurs de Cyrus Vance, ces documents pourraient suffire à eux seuls à incriminer Donald Trump. Mais il semble évident que le procureur de Manhattan espérait – et espère sans doute encore – obtenir la coopération d’Allen Weisselberg.

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Le directeur financier de la Trump Organization, Allen Weisselberg, quitte la Cour suprême de l’État de New York après une audience, jeudi

Cette stratégie n’étonne pas Kevin Riordan. « Vous ne pouvez pas calculer la quantité de connaissances qu’il a », a-t-il dit en parlant de celui qui travaille pour les Trump depuis les années 1970. « Il est bon d’avoir un guide dans ce genre de cause. »

En attendant, Donald Trump joue à l’innocent, tentant de faire oublier ses déclarations antérieures qui pourraient lui nuire. Lors de la campagne présidentielle de 2016, par exemple, il s’est vanté de connaître « nos lois fiscales complexes mieux que quiconque s’étant présenté à la présidence ».

Si tel est le cas, Donald Trump devait se douter qu’il pourrait faciliter une fraude fiscale en accordant à Allen Weisselberg des avantages en nature, y compris des appartements gratuits, des voitures de luxe louées et les frais de scolarité de l’un de ses petits-fils dans une école privée. Mais l’ancien président a dit ne rien comprendre du fisc samedi soir lors d’un rassemblement en Floride.

« Vous n’avez pas payé d’impôts sur la voiture ou un appartement de fonction… ou l’instruction de vos petits-enfants – je ne sais même pas ce que vous devez mettre. Quelqu’un connaît-il la réponse à ces questions ? », a-t-il demandé à ses partisans.

Donald Trump plaiderait sans doute la même ignorance s’il devait répondre à des questions sur la comptabilité suspecte du 40 Wall Street et de bien d’autres propriétés de son conglomérat.