(New York) Manque de charisme, débats catastrophiques, passif avec les minorités, c’est une série de facteurs qui a mené au revers politique humiliant de Mike Bloomberg, sorti mercredi de la course à l’investiture démocrate.

Il n’aura tenu que 101 jours. Le temps pour lui de dépenser plus de 550 millions de dollars en publicité, un record historique pour une campagne politique.

En comptant l’équipe de plus de 2000 salariés embauchés pour la campagne, les antennes locales, les déplacements, la facture pourrait être proche du record absolu de 737 millions dépensés par Barack Obama pour sa réélection, en 2011-12.

« Mike Bloomberg a fait le pari que son immense fortune pourrait lui offrir l’investiture démocrate. Il a perdu », résume Doug Muzzio, professeur en sciences politiques à Baruch College.

« Je suis immensément fier de la campagne que nous avons menée, des questions que nous avons soulevées, et des propositions radicales et réalisables que nous avons faites », a réagi Mike Bloomberg mercredi.

Entré en campagne très tard, le 24 novembre, neuf mois après Bernie Sanders et sept après Joe Biden, l’ancien maire de New York a-t-il trop attendu ?

Pour James Thurber, professeur à American University, même si Mike Bloomberg s’était présenté plus tôt, « certains des mêmes problèmes structurels, des problèmes liés à sa personnalité, auraient déjà été là ».

Brillant esprit, capable de créer de toutes pièces un empire de l’information financière valorisé aujourd’hui 60 milliards de dollars, Michael Rubens Bloomberg a souvent été dépeint comme un personnage au sang froid, parfois cassant, avec un fond de misogynie.

« La première raison de l’échec de Mike Bloomberg, c’est le candidat Mike Bloomberg », renchérit Doug Muzzio. « Il est ennuyeux, technocratique, il n’est pas exaltant. Les hommes politiques établissent généralement un lien avec les gens. Pas Mike Bloomberg. »

À travers sa campagne sur les réseaux sociaux, notamment via des influenceurs rémunérés, ou en tentant des plaisanteries lors de réunions publiques, le petit-fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est avait voulu adoucir son image, sans succès.

Mercredi, il a ainsi posté une petite vidéo de Star Wars dans laquelle il semble se comparer au sage jedi Obi-Wan Kenobi, face au sombre Darth Vader, censé représenter Donald Trump.

Peu habitué à la contradiction, l’entrepreneur n’a pas saisi les deux fenêtres que lui a offertes le parti démocrate lors des deux débats du 19 et du 25 février, en allant jusqu’à modifier les règles de participation.

Pour Lincoln Mitchell, professeur à l’université Columbia, ces deux sorties en demi-teinte ont été un tournant et l’ont exposé. « S’il n’avait pas été sur scène, la course à l’investiture serait très différente aujourd’hui. »

Le centre embouteillé

Outre ses prestations, critiquées, sa présence en a aussi fait une cible privilégiée pour ses rivaux, offrant un répit bienvenu à Joe Biden, jusqu’ici régulièrement attaqué lors de ces débats, souligne Lincoln Mitchell.  

Même si l’élément n’aura pas été décisif, le souvenir de sa politique sécuritaire à la tête de New York, jugée discriminatoire par beaucoup, a aussi joué un rôle.

« Il faisait une percée chez les électeurs afro-américains, mais ça allait continuer à le poursuivre », estime Lincoln Mitchell, en particulier face à Joe Biden, dont l’image est très directement associée à celle de Barack Obama.

Autre problème, en se positionnant au centre, Mike Bloomberg a rejoint une voie déjà bien embouteillée par des candidats qui se présentaient tous en alternative au programme très à gauche de Bernie Sanders.

« Il a fait du mal à (Pete Buttigieg et Amy Klobuchar) en essayant de séduire le même public », observe James Thurber, « mais cela lui a aussi été préjudiciable quand il a fallu se distinguer de Joe Biden. »

« Maintenant », anticipe James Thurber, « la question cruciale est de savoir s’il va utiliser ses moyens pour l’aider, parce que Biden n’a pas beaucoup d’argent. »

Durant les trois mois qu’a duré la campagne Bloomberg, elle a souvent été présentée comme innovante, notamment pour son investissement dans les réseaux sociaux.

« Il n’y avait rien de révolutionnaire dans sa campagne ou dans son approche », tempère Doug Muzzio. « Ce qui était révolutionnaire, c’était la capacité de la financer. »

« Ce que l’histoire retiendra, c’est de l’ordre de l’anecdote », assure-t-il, « qui dira : Mike Bloomberg en 2020, trois-quarts de milliard de dollars et une poignée de délégués. »