Plus gros État-clé de la présidentielle, la Floride sera déterminante dans le choix du prochain occupant de la Maison-Blanche. Alors que Donald Trump courtise l’électorat hispanique, une large communauté de retraités, enclave blanche dans une Floride très diversifiée, pourrait aussi l’aider à arracher la victoire. Mais il y a des nuages au paradis trumpiste… Troisième d’une série de six reportages réalisés sur le terrain dans des États-pivots.

Au cœur d’une Amérique imaginaire

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La communauté de retraités The Villages, en Floride

The Villages, Floride — L’après-midi coule lentement, engourdi de chaleur. Une vieille dame est assise, immobile, sur un banc de la place centrale de Lake Sumter Landing, en Floride. Les haut-parleurs dissimulés dans les plates-bandes diffusent de la musique des années 1950, déterminés à figer cet endroit dans le temps.

Tout près, une plaque historique apposée sur la façade de la crèmerie Häagen Dazs nous apprend qu’en 1906, on y vendait de l’équipement de pêche aux vacanciers. La station de radio voisine abritait le bureau du télégraphe.

Le moulage d’un énorme poisson-chat pend sur le quai. Une autre plaque explique qu’en 1879, deux garçons ont pêché ce monstre de 110 livres. C’est un taxidermiste du village qui a fabriqué le moulage, pour la postérité.

Vous ne croyez pas à cette histoire de pêche ?

Vous avez parfaitement raison.

  • Plaque installée à Lake Sumter Landing relatant « l’histoire » du bureau du télégraphe qui n’a, en fait, jamais existé.

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    Plaque installée à Lake Sumter Landing relatant « l’histoire » du bureau du télégraphe qui n’a, en fait, jamais existé.

  • Le moulage d’un poisson-chat et une plaque relatant l’histoire de sa capture qui n’a jamais eu lieu.

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    Le moulage d’un poisson-chat et une plaque relatant l’histoire de sa capture qui n’a jamais eu lieu.

  • Pas de doute, The Villages a été conçu comme un « Disneyland pour adultes ».

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    Pas de doute, The Villages a été conçu comme un « Disneyland pour adultes ».

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Le moulage, c’est du toc. Le taxidermiste n’a jamais existé. Pas plus que le bureau du télégraphe, d’ailleurs. Le bâtiment est moderne, tout comme celui de la crèmerie. Le lac artificiel a été creusé dans les années 1990.

> Lisez un article sur la question (en anglais)

Il y a 40 ans, il n’y avait guère plus, ici, qu’une poignée de maisons mobiles au milieu d’un champ de vaches.

Bienvenue aux Villages, la plus grande communauté de retraités des États-Unis. Un « Disneyland pour adultes », à une heure de route au nord-ouest d’Orlando, en Floride.

Les plaques qui racontent le passé des Villages sont l’œuvre non pas d’une société d’histoire, mais de Forrec Ltd, une firme de Toronto spécialisée dans l’aménagement de parcs thématiques aux quatre coins du monde.

Et les Américains en raffolent. Ils sont déjà 130 000, originaires de partout aux États-Unis, à s’être installés dans « la ville la plus sympathique de Floride ». Des milliers de bungalows en construction seront bientôt prêts à accueillir d’autres propriétaires de 55 ans et plus. Les chiens sont acceptés, mais pas les enfants.

***

Dans une autre vie, John Calandro, 74 ans, était cadre chez Nissan, en banlieue de Detroit. Après sa retraite, en 2008, lui et sa femme sont venus s’installer aux Villages. « À cause du style de vie », explique-t-il.

Il y a les soirées dansantes, les tournois de bridge et les matchs de pickleball. Mais surtout, surtout, il y a 55 terrains de golf. Cinquante-cinq ! Assez pour jouer sur un terrain différent chaque semaine pendant toute une année…

Le mode de transport officiel, à l’intérieur des Villages, est d’ailleurs la voiturette de golf.

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Le mode de transport officiel aux Villages : la voiturette de golf

Après une vie de labeur, les résidants veulent s’amuser. Pourquoi pas ? Mais attention, ça ne veut pas dire qu’ils ne s’intéressent plus à la politique. « Nous avons eu l’expérience d’une vie pour décider qui nous sommes, ce que nous croyons et pourquoi nous y croyons », dit John Calandro.

Et ce qu’ils croient, dans une écrasante majorité, c’est que Donald Trump est l’homme de la situation pour diriger les États-Unis pendant quatre autres années.

Mieux, ils croient pouvoir l’aider à arracher la victoire.

* * *

La Floride sera cruciale dans cette élection. Comme toujours. Depuis près d’un siècle, aucun candidat républicain n’est devenu président sans gagner cet État-clé. En 2016, Donald Trump l’a emporté par un point de pourcentage. S’il perd la Floride, il devra probablement quitter la Maison-Blanche.

Ce n’est pas une certitude, bien entendu. Rien n’est encore assuré, sauf peut-être une chose : en Floride, le résultat sera serré. Dans cet État, les élections se gagnent et se perdent par des poussières de vote.

Membre des « Villagers for Trump », John Calandro a fait ses calculs. Sa communauté, croit-il, a la capacité de contrer une éventuelle vague bleue en Floride.

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John Calandro

Les électeurs âgés ont tendance à voter en plus grand nombre. Le 3 novembre, ceux des Villages pourraient faire pencher la balance non seulement en Floride, qui compte 22 millions d’habitants, mais dans le pays tout entier.

Plus de 98 % des « Villagers » sont Blancs ; les deux tiers sont républicains. La communauté forme une enclave dans une Floride très diversifiée. Orlando, juste à côté, compte 28 % d’Afro-Américains et 25 % de Latinos.

Et puis, l’âge vénérable des résidants ne signifie pas que les Villages finiront par disparaître — au contraire. Ce développement en plein boom fait le plein, justement, de baby-boomers. Le genre d’explosion qui pourrait bien affaiblir le vote démocrate en Floride.

* * *

Depuis quelques mois, il y a des nuages au paradis.

Parlez-en à Shirley Schantz. « Je suis inquiète, dit-elle. Des voitures ont été rayées, des panneaux ont été arrachés, des drapeaux ont été déchirés… »

Quelqu’un lui a fait le doigt d’honneur en pleine rue. Un matin, elle a trouvé un pot de fleurs renversé dans sa cour.

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Shirley Schantz, partisane démocrate en terre républicaine

« J’ai eu 12 ans il y a bien longtemps. Je pensais que nous n’avions plus l’âge pour ce genre de choses, mais non, apparemment », dit-elle en soupirant.

L’infirmière à la retraite, originaire de Philadelphie, croit subir des représailles pour avoir eu l’audace d’afficher ses convictions démocrates en terre trumpiste.

« J’aimerais ne pas avoir peur de vivre ici et ne pas avoir à vérifier tous les matins si ma maison a été vandalisée », a-t-elle écrit en septembre dans un journal en ligne. Les commentaires ont fusé : « Retourne chez toi ! »

Shirley Schantz a aussi reçu des insultes sur Facebook. « C’était des gens qui étaient mes amis, enfin, je le croyais… »

Soudain, la ville la plus sympathique de Floride ne l’est plus tant que ça.

* * *

En juillet, Donald Trump a braqué les projecteurs sur les tensions qui déchirent la communauté en relayant une vidéo déconcertante sur Twitter. « Merci aux gens formidables des Villages ! », s’est-il enthousiasmé.

Sauf qu’après les premières secondes, pendant lesquelles une poignée de partisans lui chantaient joyeux anniversaire, la vidéo dérapait. Solidement.

À bord de leurs voiturettes, les pro-Trump sont tombés nez à nez avec des anti-Trump. Les esprits se sont échauffés. L’affaire a viré au chaos.

« Où est ta capuche blanche ? », a lancé un homme au conducteur d’une voiturette. « Ouais, t’as compris ! White power ! White power ! », a vitupéré l’autre.

Ça n’a pas très bien passé auprès du public américain.

C’est même l’un des rares tweets que le président a effacés, au bout de quelques heures.

John Calandro présume que Trump n’a pas entendu le White power avant de tweeter la vidéo. Le président s’est probablement arrêté aux vœux d’anniversaire. C’est possible.

Mais pour les Villagers, les conséquences ont été désastreuses. « Les gens veulent juger 130 000 personnes par ces huit secondes. C’est extrêmement décourageant. Ce n’est pas ce que nous sommes. »

N’empêche. La violence des mots, la hargne, la polarisation politique, le fossé qui s’élargit… les Villages seraient-ils un microcosme des États-Unis ? Et surtout, Donald Trump en est-il responsable ?

Pas du tout, répond David Gee, président des Villagers for Trump :

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David Gee, président des Villagers for Trump

La raison pour laquelle il y a une telle division en ce moment, c’est que le Parti démocrate s’est déplacé vers la gauche extrémiste.

David Gee, président des Villagers for Trump

Dans le camp opposé, les démocrates soutiennent très exactement le contraire.

* * *

Chris Stanley sent le vent tourner.

Présidente du club démocrate des Villages, elle sent les appuis de sa communauté à Donald Trump s’effriter. Un peu.

À l’échelle de la Floride, les sondages lui donnent raison. Ils montrent que Joe Biden fait bonne figure auprès des électeurs de 65 ans et plus — presque aussi bonne que Donald Trump, en fait, et bien meilleure que Hillary Clinton.

En 2016, Donald Trump avait raflé le vote des aînés de Floride par 17 points de pourcentage. Hillary Clinton ne passait pas auprès d’eux. Quatre ans plus tard, Joe Biden leur semble une option plus acceptable.

Le 3 novembre, leur vote sera crucial. Dans le Sunshine State, destination de retraite prisée des Américains, pas moins d’un électeur sur cinq est âgé de 65 ans et plus.

Comme ailleurs en Floride, donc, le vent tourne aux Villages. Mais pas tant que ça. On parle d’une légère brise, tout au plus. Chris Stanley l’admet volontiers.

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Chris Stanley, présidente du club démocrate des Villages

Je vais vous faire une prédiction : Trump va gagner les Villages. Mais sa victoire ne sera pas aussi décisive qu’en 2016.

Chris Stanley, présidente du club démocrate des Villages

Elle a renoncé depuis longtemps à convertir ses voisins. L’heure est à faire comprendre aux convertis que chaque vote compte. En Floride plus que dans n’importe quel autre État, il faut les convaincre de se rendre aux urnes.

* * *

Des Villagers défilent au quartier général du Parti républicain. Ils font le plein d’affiches à planter sur leur pelouse parfaitement taillée. « Make America Great Again ! », proclame un drapeau installé dans un coin.

Depuis quatre ans, c’est le mantra de Donald Trump.

« Il a été capable de capturer un sentiment dans un slogan », croit John Calandro. Un sentiment de fierté à retrouver — et surtout, de lassitude à se faire répéter que les Américains sont coupables de tous les maux. « On n’a pas à avoir honte des choses que nous avons accomplies. »

Cela dit, Trump est « un maître du marketing ». Ils peuvent être des millions à porter la casquette rouge, le slogan « ne veut pas dire la même chose pour tout le monde ».

Pour bien des habitants des Villages, en tout cas, si Trump redonnait sa grandeur à l’Amérique, le résultat serait probablement à l’image de cet endroit. Propre, sécuritaire et respectueux des valeurs traditionnelles.

Comme dans le bon vieux temps.

* * *

Paddock Square, Brownwood. Changement de décor. Nous sommes toujours aux Villages, mais celui-ci reproduit un bled du Texas, avec sa fausse pompe à vent, son faux réservoir en bois et même son faux cow-boy, adossé à une clôture.

  • Paddock Square, Brownwood : le Texas reproduit dans le complexe The Villages

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    Paddock Square, Brownwood : le Texas reproduit dans le complexe The Villages

  • Paddock Square, Brownwood : le Texas reproduit dans le complexe The Villages

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    Paddock Square, Brownwood : le Texas reproduit dans le complexe The Villages

  • Paddock Square, Brownwood : le Texas reproduit dans le complexe The Villages

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    Paddock Square, Brownwood : le Texas reproduit dans le complexe The Villages

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Les voiturettes qui circulent autour du paddock rappellent que tout ceci n’est qu’illusion. Nous ne sommes pas vraiment au Far West. Au contraire, rien n’est plus important, ici, que la loi et l’ordre.

Ron Hajek a posé une affiche pro-Trump à l’avant de sa voiturette. Il espère que le président sera réélu « à cause de ce qui se passe dans nos villes en ce moment. Les gens appellent ça des manifestations ; je vois plutôt des émeutes et des pillages. En tant qu’aîné, ça m’inquiète ».

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Ron Hajek et son chien Oscar

Il n’a pas à s’inquiéter. Il n’y aura jamais de manifs Black Lives Matter pour troubler la quiétude des Villages. Les fausses plaques historiques ne lui rappelleront jamais l’esclavage et la ségrégation qui ont marqué la Floride. Elles n’auront jamais que des anecdotes gentilles à lui raconter.

À bord de leur voiturette, Ron Hajek, sa femme et leur petit chien repartent lentement dans leur bulle douillette, leur monde imaginaire, leur rêve d’Amérique.

Les souvenirs doux-amers des Latinos

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Suzy Batlle, propriétaire de la crèmerie Azucar, à Miami

Miami, Floride —Un soupçon de vanille, de la crème onctueuse, un je-ne-sais-quoi liant parfaitement le tout : la mantecado de Suzy Batlle est divine. Et ce n’est pas un hasard.

Il y a neuf ans que Suzy Batlle a ouvert la crèmerie Azucar au cœur de Little Havana, l’enclave cubaine de Miami. Depuis, elle prend un soin maniaque à élaborer ses recettes. Elle ne compte plus le nombre de fois où elle a traversé la Calle Ocho pour tester ses parfums auprès des vieux Cubains qui jouent aux dominos dans le parc, en face. « Un peu plus de vanille, señora, un peu moins de cannelle… »

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La crèmerie Azucar, dans Little Havana, et sa propriétaire Suzy Batlle

À force, Suzy Batlle a réussi à recréer parfaitement la crème glacée de leur enfance, à Cuba. « Un vieil homme m’a tenu la main en pleurant et en me disant à quel point c’était extraordinaire de retrouver ces parfums. La crème glacée peut rendre nostalgique, raviver des souvenirs… »

Pour les centaines de milliers de Cubains qui se sont réfugiés en Floride après la révolution de Fidel Castro, en 1959, tous les souvenirs ne sont malheureusement pas aussi doux que la crème glacée de Suzy Batlle.

Depuis 60 ans, la communauté cubaine de Miami fait bloc derrière le Parti républicain, qui s’est historiquement montré hostile envers le communisme en général — et envers Cuba en particulier. Cette élection présidentielle ne fera pas exception.

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Donald Trump a obtenu 28 % du vote latino en 2016. Il espère faire mieux, cette fois, notamment auprès des électeurs hispaniques de Floride, plus conservateurs que ceux du reste du pays. Sa stratégie : maintenir la ligne dure envers les régimes populistes de gauche d’Amérique latine.

Dans ses discours, le président ne manque pas une occasion de comparer le « socialisme » de ses adversaires démocrates à celui des despotes qui s’accrochent au pouvoir à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela.

Odieuse comparaison ? Pas pour Suzy Batlle, dont les parents ont été forcés de fuir le régime castriste.

« On entend parler les politiciens [démocrates] et on se dit : un instant, j’ai déjà entendu ça quelque part… »

À Cuba. Avant la révolution, les rebelles utilisaient le même vocabulaire, dit-elle.

Les mêmes mots. Redistribution. Prendre l’argent des 1 % plus riches pour le donner aux autres. Pour quoi faire ? Les riches ont travaillé pour cet argent !

Suzy Batlle

Autrefois banquière, Suzy Batlle a dû se réinventer en 2008, quand l’économie américaine s’est effondrée. L’adversité, elle connaît. Les nuits sans sommeil aussi.

« Je pense que la plupart des entrepreneurs, qui connaissent toutes les épreuves à traverser pour réussir, vont voter pour Trump. »

* * *

En plus des Cubains, Donald Trump courtise les Vénézuéliens de Floride, nombreux à avoir fui la répression de Nicolás Maduro. Le président leur promet régulièrement de débarrasser le Venezuela de cette « marionnette cubaine ».

La politique étrangère de Trump à l’égard de l’Amérique latine a clairement été élaborée en fonction des électeurs du sud de la Floride. En apparence, du moins.

En réalité, ce ne sont que des paroles creuses, croit le Floridien d’origine vénézuélienne Manuel Oliver. « Le Venezuela a été kidnappé par un dictateur, mais Trump n’a aucune intention de faire quoi que ce soit à ce propos ! »

Les immigrants devraient plutôt s’intéresser à ce qui se passe aux États-Unis, ajoute-t-il. « Quand je vois des Vénézuéliens heureux de voter pour quelqu’un qui leur promet de [renverser Maduro], je trouve ça très déloyal envers la démocratie américaine. Je m’attends à ce qu’ils se préoccupent des problèmes d’ici. Il y en a beaucoup, en passant. »

Manuel Oliver sait trop bien de quoi il parle.

Son fils fait partie des 17 victimes de la tuerie de Parkland, survenue le 14 février 2018.

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Manuel Oliver, père de Joaquin Oliver, victime de la tuerie de l’école de Parkland

Mon enfant, né au Venezuela, a été abattu dans son école, sous cette administration. Le président Trump n’a jamais mentionné son nom.

Manuel Olivier

Il s’appelait Joaquin Oliver. Il avait 17 ans.

Le 3 novembre, son père pensera à lui en votant pour Joe Biden.

* * *

Il en faudra plus pour faire pencher la balance.

En Floride, les organisateurs démocrates s’arrachent les cheveux. Pendant des semaines cruciales, Joe Biden n’a cessé de perdre du terrain auprès des électeurs hispaniques de l’État-clé.

D’abord réticent à faire campagne en raison de la COVID-19, le candidat démocrate n’a pas mis les pieds en Floride avant la mi-septembre, alors que Donald Trump s’y était déjà rendu à plusieurs reprises.

Selon un sondage NBC/Marist, au début de septembre, le président ralliait 50 % des électeurs hispaniques, contre 46 % pour Biden. Depuis, ce dernier a redoublé d’efforts pour gagner un vote latino qu’il tenait (trop) pour acquis.

On dit « vote latino », mais il y en a plusieurs. Comme le montrent les sondages, on ne peut pas vraiment parler d’une minorité ethnique homogène.

En Floride, un électeur sur cinq a des origines hispaniques. Longtemps, les Cubains y ont été majoritaires, mais depuis 10 ans, d’autres communautés s’y sont installées en masse. Aujourd’hui, les Cubains comptent pour 49 % des électeurs hispaniques de l’État.

Même à Little Havana, seul le tiers des 60 000 résidants sont désormais d’origine cubaine. Leurs voisins proviennent du Mexique, de l’Amérique centrale, de l’Amérique du Sud et des Caraïbes…

La nouvelle génération d’Américano-Cubains elle-même paraît moins obsédée par Castro que celle de ses parents. Elle reste majoritairement républicaine, souhaite toujours la fin du castrisme, mais se préoccupe aussi de soins de santé, d’éducation, de contrôle des armes à feu.

Et, ces temps-ci, de pandémie.

* * *

David Garcia est propriétaire du restaurant La Camaronera, une institution à Little Havana. Il y a 47 ans, son père et ses oncles ont ouvert à Miami ce qui n’était d’abord qu’une poissonnerie, après avoir tout perdu à Cuba. Le régime avait confisqué le commerce familial, au nom de la révolution.

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David Garcia, propriétaire du restaurant La Camaronera, dans Little Havana

Mais David Garcia n’a guère le temps de penser à cette vieille histoire par les temps qui courent. Il pense surtout à ses trois enfants, le nez collé sur leurs écrans pendant que lui et sa femme se démènent pour garder la tête hors de l’eau.

À Little Havana, les vieux Cubains ne jouent plus aux dominos dans le parc. Pour des raisons sanitaires, l’endroit est fermé jusqu’à nouvel ordre. Les rues ont perdu leur joie de vivre. Seuls les poules et les chats errants semblent jouir de l’accalmie.

Avant la pandémie, Little Havana était en plein essor. En une dizaine d’années, le quartier était devenu une destination touristique incontournable à Miami. Les commerçants avaient le vent dans les voiles.

Le coronavirus a tout détruit.

  • Domino Park, où les vieux exilés cubains se rassemblaient chaque jour, est fermé jusqu’à nouvel ordre en raison de la pandémie.

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    Domino Park, où les vieux exilés cubains se rassemblaient chaque jour, est fermé jusqu’à nouvel ordre en raison de la pandémie.

  • En pleine pandémie, un vendeur de cacahuètes tente d’attirer l’attention de rares touristes dans Little Havana.

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    En pleine pandémie, un vendeur de cacahuètes tente d’attirer l’attention de rares touristes dans Little Havana.

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Les autocars de touristes ne s’arrêtent plus devant La Camaronera. Le resto a dû fermer ses portes à deux reprises depuis le début de la pandémie. Ses revenus ont fondu comme neige au soleil de Miami.

David Garcia s’est adapté. Il a construit une terrasse extérieure. Il s’est mis à la livraison et au service à emporter. Heureusement, la clientèle locale reste fidèle à ses fameux sandwichs au poisson frit.

La famille Garcia s’en sortira, jure-t-il. Elle en a vu d’autres.

« Nos pères sont venus ici avec rien. Absolument rien. Ils avaient deux, trois emplois à la fois. Ils ne comptaient pas leurs heures, juste pour être capables de survivre. Et c’est exactement ce que nous allons faire. »

Ces reportages ont été réalisés avant que Donald Trump ne reçoive un diagnostic positif à la COVID-19.

Rectificatif
Deux erreurs se sont glissées dans les données statistiques qui accompagnent ce reportage. La Floride a été remportée par George W. Bush (48,847 %) en 2000, et non par Al Gore (48,838 %). Par ailleurs, la répartition démographique aurait dû se lire ainsi : Blancs (53,2 %), Hispaniques et Latino-Américains (26,4 %), Noirs (16,9 %), Asiatiques (3 %). Nos excuses.