(NEW YORK) Donald Trump deviendra au cours des prochaines semaines le troisième président américain de l’ère moderne à faire l’objet d’auditions publiques en vue d’une éventuelle procédure de destitution le visant.

Lors d’un vote historique illustrant les profondes divisions politiques des États-Unis, la Chambre des représentants a adopté jeudi, par 232 voix contre 196, une résolution fixant les règles de ces auditions dont les chaînes de télévision feront leurs choux gras. Aucun représentant républicain n’a défié la ligne de conduite dictée par le président, alors que deux représentants démocrates se sont opposés au texte.

Peu après le vote, Donald Trump a dénoncé « la plus grande chasse aux sorcières de l’histoire américaine ». La Maison-Blanche a qualifié de son côté la résolution de « mascarade » et de « tentative bassement partisane de détruire le président ».

La phase publique de l’enquête rapprochera les démocrates de la Chambre du point de non-retour. Elle fera suite à plus de cinq semaines de dépositions à huis clos au cours desquelles des responsables de l’administration Trump, actuels ou anciens, ont confirmé les grandes lignes de la dénonciation d’un lanceur d’alerte contre Donald Trump : le président et des membres de son entourage ont fait pression auprès du gouvernement ukrainien pour qu’il fasse enquête sur des affaires impliquant des démocrates, dont Joe Biden.

Certains des témoins ont aussi affirmé que les alliés du président avaient fait savoir au président ukrainien Volodymyr Zelensky qu’il devait annoncer publiquement l’ouverture de ces enquêtes pour obtenir deux choses auxquelles il tenait : une invitation à la Maison-Blanche et le déblocage d’une aide militaire de 391 millions de dollars accordée à l’Ukraine par le Congrès américain.

Changement de cap

Le vote de la Chambre représente un virage important pour sa présidente, Nancy Pelosi, qui a longtemps craint d’engager son parti dans une procédure de destitution contre Donald Trump. La représentante de Californie estimait qu’une telle démarche risquait non seulement de diviser les États-Unis, mais également de favoriser la réélection de Donald Trump.

Du jour au lendemain, l’affaire ukrainienne, qui représente à ses yeux un abus de pouvoir dangereux, a eu raison de ses réserves. Le 24 septembre dernier, la démocrate octogénaire a donné le feu vert à une enquête préliminaire. Jeudi, elle a formalisé l’affaire avec un premier vote de la Chambre sur une procédure de destitution éventuelle.

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Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis

Il n’y a pas de quoi se réjouir ou se réconforter. Ce qui est en jeu n’est rien de moins que notre démocratie.

Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, avant le vote

Le chef de la minorité à la Chambre, Kevin McCarthy, a condamné de son côté une résolution qui met en cause « l’intégrité du processus électoral ».

« Cette procédure n’est pas seulement une tentative d’annuler la dernière élection, c’est également un effort pour influencer la prochaine », a-t-il déclaré avant la tenue.

Suite de la procédure

La résolution stipule que les auditions publiques auront lieu devant les membres de la commission du Renseignement de la Chambre, présidée par le représentant de Californie Adam Schiff. Elle autorise la minorité républicaine à convoquer ses propres témoins. Et elle prévoit le transfert des preuves accumulées à la commission judiciaire de la Chambre, dont les membres seront chargés, le cas échéant, de rédiger les articles de la mise en accusation.

À ce stade de la procédure, le président et ses avocats pourront alors réclamer de nouveaux témoignages et documents et procéder à des contre-interrogatoires. Leurs demandes pourraient cependant être refusées si la Maison-Blanche continue à refuser de participer à l’enquête.

La résolution de la Chambre visait notamment à répondre aux accusations de la Maison-Blanche et de ses alliés du Congrès sur le manque présumé de transparence des auditions à huis clos. Les démocrates avaient fait valoir que ces auditions privées étaient une étape normale devant précéder la phase publique de leur enquête.

En attendant le début de cette phase, les démocrates cherchent encore à recueillir les dépositions de figures importantes dans l’affaire ukrainienne, dont l’ancien conseiller de la Maison-Blanche à la sécurité nationale, John Bolton. Celui-ci a été invité jeudi à témoigner volontairement le 7 novembre. Son avocat a décliné l’invitation en son nom, disant vouloir attendre une assignation à comparaître.

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John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale des États-Unis

Le témoignage de John Bolton, républicain de longue date, faucon en matière de politique étrangère et ancien commentateur de Fox News, pourrait être crucial. Selon certaines dépositions, l’ex-conseiller de la Maison-Blanche était vivement opposé au rôle de l’avocat personnel du président, Rudolph Giuliani, auprès du gouvernement ukrainien. Il était également en désaccord avec l’idée de demander au président ukrainien d’enquêter sur Joe Biden.

N’empêche : avec ou sans auditions publiques, les démocrates de la Chambre font face au même dilemme. Après la rédaction et l’adoption des articles de mise en accusation, il incomberait au Sénat à majorité républicaine de tenir un procès. Or, la condamnation et la destitution du président nécessiteraient la défection d’au moins 20 sénateurs républicains si tous les membres du groupe démocrate prononcent un verdict de culpabilité.

Pour le moment, un tel scénario, qui se déroulerait au début de la saison des primaires démocrates, semble improbable.

Seuls Richard Nixon et Bill Clinton ont fait face à une procédure de destitution dans l’ère moderne. Le premier a choisi de démissionner avant d’être mis en accusation, alors que le second a été acquitté par le Sénat.