(New York) Les institutions financières croyaient être débarrassées d’elle une fois pour toutes. Certes, son bébé — le Bureau de protection des consommateurs — avait fini par voir le jour, mais le président en avait confié la garde à une autre personne, moins hostile à leur endroit.

C’était en 2011. Après avoir mis son expertise au service d’un pays ébranlé par la crise financière de 2008, Elizabeth Warren s’apprêtait à rentrer à Harvard, où l’attendait son poste de professeure de droit. Cependant, lors d’une ultime rencontre à la Maison-Blanche, Barack Obama devait surprendre sa conseillère spéciale en l’encourageant à accepter une autre mission à laquelle elle n’avait pas songé : ravir le siège du sénateur républicain du Massachusetts, Scott Brown, à l’occasion des élections de 2012.

Le président démocrate était l’un des rares à croire aux chances de cette intellectuelle qui n’avait jamais brigué les suffrages. Mais la bête noire de Wall Street, faisant mentir sondages et experts, allait remporter une victoire convaincante contre Brown. Et voilà que les institutions financières font aujourd’hui des cauchemars mettant en scène Elizabeth Warren dans un rôle improbable mais non impossible : présidente des États-Unis.

Depuis son enfance au sein d’une famille d’Oklahoma qui a failli perdre sa maison après l’infarctus de son père, l’histoire d’Elizabeth Warren est une longue suite d’obstacles surmontés envers et contre tous. Sa campagne présidentielle ne fait pas exception.

En ascension

Donald Trump était persuadé de lui avoir enlevé toute crédibilité en lui collant le surnom « Pocahontas » et en l’accusant (faussement) d’avoir revendiqué une filiation amérindienne pour faire avancer sa carrière universitaire. Elizabeth Warren avait elle-même semblé faire le jeu du président en se soumettant à un test d’ADN pour prouver une légende familiale selon laquelle du sang cherokee coulait dans ses veines.

Les résultats — elle ne serait que 1/32 amérindienne, voire 1/1024 — avaient été non seulement ridiculisés par la droite, mais également critiqués par la gauche. La sénatrice avait même dû s’excuser auprès des dirigeants cherokees pour les assurer qu’elle n’avait jamais voulu laisser croire qu’elle appartenait à leur nation.

Elizabeth Warren faisait donc face à un très grand scepticisme lorsqu’elle a lancé sa campagne présidentielle le 31 décembre 2018, avant tous ses autres rivaux démocrates éventuels. Et ce n’est pas sans étonnement que le monde politique observe aujourd’hui sa montée des dernières semaines. 

La candidate de 70 ans occupe désormais le deuxième rang dans certains sondages menés à l’échelle nationale ou dans certains États, devant Bernie Sanders.

« J’ai un plan pour ça »

La remontée de la démocrate tient en bonne partie à une combativité qui a déjà donné naissance à un slogan féministe inspiré par une source inattendue. L’histoire remonte à février 2017. Lors d’un débat sur la confirmation de Jeff Sessions au poste de procureur général, le chef de la majorité républicaine, Mitch McConnell, a retiré à Elizabeth Warren son droit de parole, lui reprochant d’avoir enfreint une règle du Sénat. Sa faute ? Avoir insisté pour lire dans l’hémicycle de la Chambre haute une lettre écrite par la veuve de Martin Luther King dans les années 80 et accusant Sessions de racisme.

« Elle a été avertie. On lui a donné une explication. Néanmoins, elle a persisté », avait déclaré le sénateur McConnell, créant ce slogan que les admirateurs, et surtout les admiratrices, de la sénatrice du Massachusetts allaient vite adopter : « Néanmoins, elle persista. »

Mais la campagne présidentielle d’Elizabeth Warren a fait naître un autre slogan informel qui lui colle tout autant à la peau ces jours-ci : « J’ai un plan pour ça. » Ce slogan fait référence à la réponse que la candidate donne souvent aux électeurs qui lui posent des questions. Elle a notamment un plan pour réduire l’énorme dette étudiante, un plan pour instaurer la gratuité dans les universités publiques, un plan pour forcer les entreprises à payer plus d’impôts, un plan pour démanteler les géants de la technologie de l’agriculture, un plan pour combattre l’épidémie des opioïdes et un plan pour créer un impôt annuel de 2 % sur les fortunes de 50 millions de dollars et plus – impôt destiné à financer plusieurs de ses propositions ambitieuses. Cette liste, faut-il préciser, n’a rien d’exhaustif.

Et que dit Elizabeth Warren à propos de Donald Trump ? Elle a été la première chez les candidats démocrates à la présidence à appeler à la destitution du président républicain.

Mais elle parle peu de Donald Trump dans ses rencontres avec les électeurs. Même si elle dit croire aux marchés, elle martèle dans ses interventions la nécessité de mettre en œuvre des réformes systémiques pour réduire les inégalités économiques et l’influence des riches et puissants sur Washington.

Ses rencontres avec les électeurs sont plus intimistes que celles d’un Bernie Sanders et beaucoup plus fréquentes que celles d’un Joe Biden. Jouant la carte de la proximité, elle ne prend pas congé de ses partisans avant d’avoir pris un égoportrait avec le dernier qui le désire.

Tout ça mis ensemble a contribué à sa montée récente. Montée qu’elle pourra confirmer cette semaine à l’occasion du premier débat entre les candidats démocrates à la présidence, qui se déroulera sur deux soirs à Miami, les 26 et 27 juin.

Peut-elle menacer le meneur de la course démocrate, Joe Biden ? Des démocrates jugeront sans doute trop risqué le choix d’une femme marquée à gauche et issue de Harvard pour déloger Donald Trump. Néanmoins, Elizabeth Warren persistera.