(Washington) La confrontation entre les démocrates et Donald Trump autour de l'explosive affaire russe a escaladé mercredi vers un nouveau palier de tension, avec le refus de la Maison-Blanche de livrer au Congrès des informations sensibles et l'ouverture d'une procédure contre le procureur général des États-Unis.

Une décision inédite contre une procédure rarissime.

Alors même que les démocrates lançaient les débats pour voter une motion de défiance contre le procureur général Bill Barr, la Maison-Blanche a annoncé que Donald Trump employait, pour la première fois, ses prérogatives présidentielles afin de rejeter leurs demandes «illégales» d'information concernant l'enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l'ingérence russe dans la présidentielle américaine de 2016. 

«Les Américains voient clairement que les manoeuvres désespérées» des démocrates «visent à les détourner des succès historiques du président», a affirmé Sarah Huckabee Sanders, porte-parole de l'exécutif.

AFP

Bill Barr

Le chef démocrate de la commission judiciaire de la Chambre des représentant, Jerry Nadler, a immédiatement appelé tous les élus à réagir au nom «des institutions». 

«Personne, ni le procureur général, ni le président, ne peut être au-dessus de la loi», a-t-il martelé, alors qu'il lançait la procédure pour entrave aux prérogatives d'enquête du Congrès (contempt of Congress) contre Bill Barr. 

Les démocrates accusent le procureur général de bloquer le travail du Congrès en refusant de leur livrer, dans les délais impartis, la version complète du rapport d'enquête du procureur Robert Mueller. 

Cette procédure rarissime, qui n'a été jusqu'ici appliquée qu'à un autre procureur général, Eric Holder, sous l'administration du démocrate Barack Obama, ne sera conclue qu'après un vote en séance plénière, dont la date doit encore être fixée. 

Deux ans et demi après la présidentielle américaine de 2016, l'enquête tentaculaire sur le dossier russe continue ainsi d'empoisonner le mandat de Donald Trump.

La destitution en question

Dans son rapport de près de 450 pages, Robert Mueller a exonéré Donald Trump des soupçons de collusion avec Moscou mais a décrit une dizaine de pressions exercées par le président républicain sur l'enquête. 

S'estimant totalement blanchi, M. Trump n'a de cesse de dénoncer une coûteuse «chasse aux sorcières». 

AP

Le très discret Robert Mueller a été photographié lundi soir dans le quartier de Georgetown, à Washington.

Convaincus au contraire qu'il a «entravé la justice», les démocrates, disposant grâce à leur majorité à la Chambre de vastes pouvoirs d'investigation, veulent poursuivre l'enquête au Congrès afin de déterminer si les faits relatés dans le rapport complet justifient l'ouverture d'une procédure de destitution contre Donald Trump. 

Pas question, leur a répondu le département de la Justice, qui déplore que les démocrates n'aient pas même accepté leur offre de consulter, en comité restreint, une version bien moins expurgée que celle publiée le 18 avril. 

Face à leurs «exigences déraisonnables», le département a donc demandé à Donald Trump qu'il applique ses prérogatives présidentielles lui permettant de refuser de livrer les documents sous le coup d'une injonction parlementaire. Ce qu'il a fait peu après. 

Leur duel devrait durer. 

Si la Chambre estime que Bill Barr a entravé les prérogatives d'enquête du Congrès, cela reviendra à constituer un dossier d'inculpation.

La justice devra alors décider ou non d'enquêter sur cette base, ce qui n'avait pas eu lieu dans le cas de M. Holder. 

Bill Barr pourrait risquer une amende, voire une peine d'emprisonnement, mais ces peines restent largement improbables. 

Outre la vaste affaire russe, l'opposition et la Maison-Blanche sont en lutte ouverte sur plusieurs fronts au Congrès qui pourraient escalader vers d'âpres batailles judiciaires. 

REUTERS

Don McGahn

Les démocrates réclament les déclarations d'impôts de Donald Trump ou des documents à l'ex-conseiller juridique de la Maison-Blanche, Don McGahn? L'administration refuse, en dénonçant des demandes injustifiées.

Avec ces refus en cascade, Donald Trump pourrait en fait chercher à «provoquer» les démocrates pour qu'ils déclenchent une procédure de destitution contre lui, a laissé entendre la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi. 

Avec cet habile calcul électoral en tête : lancer cette procédure en sachant que le Sénat, contrôlé par les républicains, l'acquitterait probablement et alors qu'une majorité d'Américains se dit contre, pourrait être toxique pour les démocrates à l'orée de la présidentielle de novembre 2020. 

«La destitution est une voie qui crée beaucoup, beaucoup de divisions», a-t-elle insisté mercredi. 

Mais pour la sénatrice et candidate démocrate à la présidentielle Elizabeth Warren, il n'y a pas le choix.