Alors qu'on lui apprenait comment contrôler une hémorragie avec une pression directe, un tourniquet et des pansements, Kari Stafford, qui enseigne les mathématiques et les sciences sociales en sixième année du primaire, était découragée de penser qu'il s'agit maintenant de connaissances essentielles à son emploi.

Mme Stafford n'aime peut-être pas ça, mais avec la multiplication des fusillades dans les écoles aux États-Unis, ses collègues et elle ont accepté à contrecoeur que les attaques ne cesseront pas et que les enseignants doivent apprendre comment empêcher une victime de mourir au bout de son sang.

« Il est important d'apprendre à aider pour savoir comment intervenir », a-t-elle dit, au moment de recevoir sa formation en compagnie d'une dizaine d'autres enseignants à l'école secondaire Southeast Polk, près de Des Moines, dans l'Iowa.

Au cours des cinq dernières années, quelque 125 000 enseignants, conseillers et responsables ont appris à contrôler les hémorragies à travers le pays. L'initiative prend de l'ampleur et on retrouve maintenant dans plusieurs classes du matériel que connaissent bien les ambulanciers militaires: des tourniquets, des gazes enduites d'une substance coagulante et des pansements compressifs.

Même si les écoles américaines multiplient les mesures de sécurité et vont même jusqu'à armer les enseignants pour contrer les attaques, on accorde une nouvelle importance à sauver les victimes en attendant l'arrivée des secours.

L'idée est celle du docteur Lenworth Jacobs, qui a soigné plusieurs victimes de la fusillade ayant fait 26 morts à l'école primaire Sandy Hook, en 2012. Il redoutait que ce ne soit pas la dernière fusillade du genre, et l'histoire lui a donné maintes fois raison.

« Je pratique la chirurgie traumatologique depuis plus de 40 ans et j'ai vu plusieurs blessures par balles », a-t-il dit, mais un massacre dans une école primaire est « complètement différent ».

« On parle d'enfants de six ans blessés par des armes très puissantes. Ça nous transforme. »

Stoppez l'hémorragie

Le docteur Jacobs et d'autres médecins ont créé un groupe auquel se sont éventuellement joints des policiers et d'autres premiers répondants afin d'élaborer des stratégies pour aider les victimes à survivre. Lors de fusillades en milieu scolaire, davantage de victimes pourraient survivre si on freinait au moins leur hémorragie.

« Ça prend beaucoup de temps [aux autorités] pour sécuriser la salle de classe et s'assurer qu'il n'y a pas d'autre tireur, a-t-il dit. La personne qui va vous sauver est là, à côté de vous. »

L'initiative Stop the Bleed (Stoppez l'hémorragie) s'est propagée rapidement et est maintenant implantée dans les 50 États américains.

Plusieurs enseignants qui refusaient auparavant de se transformer en infirmiers n'ont eu d'autre choix que de se rallier au programme, quand les mesures de sécurité se sont révélées impuissantes à faire cesser la violence. Dans plusieurs cas, les tireurs sont des élèves qui peuvent accéder facilement aux installations. Et les confinements barricadés peuvent accentuer le risque de mort.

« Si des élèves sont abattus pendant un confinement, ils vont se vider de leur sang. Ils vont mourir », a dit une dirigeante de l'État de la Géorgie, Dena Abston. Cet État a dépensé plus de 1 million de dollars US pour fournir de l'équipement médical aux écoles; plus de 18 000 éducateurs y ont aussi été formés.

À Bend, dans l'Oregon, l'ambulancier Nolan McGinnis s'est empressé d'offrir ses services lorsque les autorités se sont lancées à la recherche de formateurs. Il comptait parmi les premiers secouristes sur les lieux d'une fusillade qui a fait dix morts en 2015 sur le campus de l'université publique Umpqua.

« Surtout dans le cas de ces fusillades à l'école, on ne sait jamais si le tireur va se rendre ou se suicider avant qu'on arrive, ou si ça va prendre 15 minutes et si on attend encore de pouvoir entrer », a-t-il dit.

Sauver des vies

Des élèves sont aussi formés à Bend, et certains d'entre eux ont commencé à récolter des fonds pour acheter des trousses de contrôle des hémorragies.

« Une seule personne ne peut empêcher une fusillade, mais une seule personne peut sauver plusieurs vies, et de vivre quelque chose du genre procure un sentiment positif », a dit la jeune Sierra Sheeks.

Dans l'Iowa, une dizaine d'enseignants et autres employés de l'école Southeast Polk se sont réunis avant le début des classes pour être formés. Même si aucune fusillade n'y a jamais eu lieu, les événements qui se produisent à travers le pays démontrent que le danger est réel.

Un spécialiste de la traumatologie, Brian Feist, et le chirurgien Richard Sidwell ont utilisé un membre de mousse pour présenter les techniques à utiliser, puis ils ont donné aux enseignants l'occasion de pratiquer leurs tourniquets et leurs bandages.

M. Feist a expliqué que la pression directe fonctionne le mieux chez les jeunes enfants et que le tourniquet est approprié lors de blessures multiples. Il a toutefois prévenu qu'un tourniquet peut être très douloureux.

« Votre patient va hurler parce que c'est très, très douloureux », a-t-il dit.

L'enseignante Denise Gulling a souligné que les élèves acceptent maintenant la réalité des fusillades. Ils s'exercent régulièrement à verrouiller les portes et à se cacher en classe. Maintenant, « ça nous donne une option de plus pour aider », a-t-elle dit.