Bernie entre en scène la mine grave, les lèvres pincées, et ne lâche un sourire que forcé, comme ému par l'ovation qui l'accueille. Hillary déboule radieuse, elle s'exclame, rit, articule «merci», et s'émerveille de découvrir tant de soutien.

Le premier veut soulever les masses pour une révolution politique et promet un coup de tonnerre en cas d'élection. La seconde laboure humblement le terrain pour terminer le travail commencé par Barack Obama, prévenant les Américains que les prochaines années seront laborieuses.

Et les deux rivalisent pour l'investiture du parti démocrate, un marathon électoral qui s'ouvre le 1er février avec les caucus du petit État de l'Iowa.

«Bernie!» 

Bernie Sanders préfère les campus universitaires. Son arrivée est simple, ponctuelle. Légèrement voûté, il monte sur le podium, déplie un papier chiffonné et plaisante sur l'orateur précédent qui a déjà tout dit. «Bon je m'en vais alors», a-t-il lancé ce dimanche à l'Université de l'Iowa du Nord, à Cedar Falls.

Sans transition, dans la minute, il embraye sur la leçon essentielle que l'auditoire est invité à absorber ce soir: «cette candidature est fondée sur la conviction que nous vivons dans une économie truquée».

Tout de suite, il appelle le public à participer, à la manière d'un professeur. «Nous vivons dans une économie et un pays dont le système de financement électoral est corrompu. Le mot vous semble trop cruel ?»

- Non !» répond la foule.

Il pose des questions. «Vous êtes prêts pour une idée radicale?» «Oui!»

Plus tard: «Combien de dette étudiante avez-vous, levez la main.  - 60 000 dollars!  - 180 000!»

Le discours se poursuit : Wall Street, prix des médicaments, corruption...

«Bernie on t'aime» ose dans un silence une étudiante. Le petit cri arrache un sourire au vieux sénateur, 74 ans. Après une heure de classe, il redescend sur Terre, cerné par des dizaines de jeunes. Il signe des autographes mais ne fait pas semblant d'apprécier les selfies, presse le pas et ignore les appels désespérés de ses fans.

Bernie Sanders est aussi maître du pince-sans-rire. Il fait éclater de rire les étudiants en parlant de ses «cheveux parfaitement peignés» et en déclarant: «Je suis un mec GQ», du nom du magazine masculin.

À un forum CNN le lendemain, à Des Moines, la capitale de l'Iowa, il déboutonne sa veste en lâchant : «j'ai grossi, alors...»

Si le tutoiement existait, tout le monde l'emploierait avec «Bernie». C'est le poing levé et la mine sérieuse que le «socialiste démocrate» arrive dans un local syndical. Ouvriers et infirmières ovationnent le camarade, scandent longtemps «Bernie ! Bernie !»

Il dit «mes frères et mes soeurs» et répète à intervalles réguliers: «Vous comprenez n'est-ce pas ?»

Et contre les patrons: «Question: si nous sommes plus productifs, pourquoi travaillons-nous plus d'heures?

- L'avidité!

- Bien !»

La femme d'État 

Tout évoque la femme d'État dans les déplacements d'Hillary Clinton - à commencer par la logistique de ses réunions publiques.

L'ex-première dame, 68 ans, est protégée par les policiers du Secret Service: portiques de sécurité obligatoires. Les participants arrivent longtemps en avance. Ses foules sont plus petites, plus calmes et plus âgées, moins monochromes. Des fans de la première heure côtoient des jeunes femmes qui admirent l'engagement historique d'Hillary Clinton pour la cause des femmes.

Tous citent immanquablement son expérience.

La candidate arrive sur scène en mimant, avec ses bras, un petit sprint, excessivement hilare. Remercie ses hôtes et les bénévoles, avant de dérouler son programme, de l'économie aux affaires étrangères, en finissant par son CV d'ex-chef de la diplomatie.

La voix est ferme et de plus en plus appuyée au fil du discours: c'est celle d'une combattante expérimentée, prête à tenir tête au Congrès républicain. Mais elle peine à incarner sa candidature dans une idée aussi simple que «l'économie truquée» de Bernie Sanders.

«On fait campagne en poésie, on gouverne en prose», dit-elle souvent.

Hillary Clinton a passé le premier mois de sa campagne, en avril 2015, dans des tables-rondes, désireuse de se débarrasser de son image d'héritière. Elle cite systématiquement des histoires de personnes rencontrées dans des cafés ou des PME.

À la fin des événements, elle se soumet au rituel des selfies, allant jusqu'à demander aux gens: «voulez-vous une photo?»

Et quand la personne s'empêtre, elle prend l'iPhone dans ses mains, change l'orientation, et appuie elle-même sur le bouton.