Un demi-siècle après la répression brutale d'une marche pour les droits civiques entrée dans l'histoire, Barack Obama a appelé, face à des milliers de personnes rassemblées à Selma, à poursuivre la lutte contre la discrimination raciale aux États-Unis.

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Dans un discours prononcé samedi sous un soleil éclatant devant le pont Edmund Pettus sur lequel, il y a cinquante ans, quelques centaines de manifestants pacifiques furent violemment pris d'assaut par la police, le premier président noir de l'histoire des États-Unis a appelé à la lucidité et la vigilance.

S'il a souligné les progrès accomplis - «Si vous pensez que rien n'a changé, demandez à quelqu'un qui a vécu à Selma, Chicago ou Los Angeles dans les années 50!» - M. Obama a aussi appelé à refuser le raisonnement consistant à suggérer que le racisme a disparu.

«Nous n'avons pas besoin du rapport de Ferguson pour savoir que cela n'est pas vrai», a-t-il lancé, en allusion au document accablant publié cette semaine par le ministère de la Justice qui pointe les comportements discriminatoires de la police dans cette petite ville du Missouri, théâtre de violentes émeutes après la mort d'un jeune Noir abattu par un policier blanc.

«Il nous suffit d'ouvrir nos yeux, nos oreilles et nos coeurs pour savoir que l'ombre de l'histoire raciale de ce pays plane toujours sur nous», a poursuivi M. Obama dans cette petite ville de l'Alabama où s'étaient rassemblées plus de 40 000 personnes, 50 ans après un «Bloody Sunday» qui traumatisa l'Amérique.

M. Obama, qui était accompagné de sa femme Michelle et ses deux filles Malia et Sasha, a ensuite traversé à pied, avec un groupe d'une cinquantaine de personnes, le pont Edmund Pettus, au-dessus du fleuve Alabama. Son prédécesseur, le républicain George W. Bush, faisait partie du cortège.

Deux semaines après la marche du 7 mars 1965, plusieurs milliers de personnes emmenées par le pasteur Martin Luther King quittaient de nouveau Selma pour rejoindre la capitale de l'Alabama, Montgomery, à près de 90 km de là, où elles arrivèrent en un large cortège après plusieurs journées d'une marche entrée dans l'histoire.

Le 6 août 1965, le président démocrate Lyndon Johnson signait le Voting Rights Act, garantissant à tous le droit de vote en supprimant un nombre incalculable d'obstacles qui se dressaient sur la route des Afro-américains désireux de s'inscrire sur les listes électorales.

«Vous pouviez aller demander votre inscription, mais il fallait passer un test sur la Constitution de l'Alabama!», a raconté à l'AFP Louretta Wimberly, qui participa activement à l'organisation de ces marches.

«Comment cela est-il possible?»

Si la loi de 1965 a changé la donne, le débat n'est cependant pas clos. Les démocrates accusent régulièrement les républicains de brandir la menace de la fraude électorale pour introduire dans certains États des contraintes supplémentaires sur l'identification des électeurs dans le but de dissuader les minorités de se rendre aux urnes.

«Aujourd'hui, en 2015, 50 ans après Selma, il y a des lois à travers ce pays conçues pour rendre le vote plus difficile !», a lancé M. Obama. «Au moment où nous parlons, d'autres lois de ce type sont proposées», a-t-il ajouté. «Comment cela est-il possible ?», s'est-il interrogé avec véhémence.

Quelques minutes plus tôt, le pasteur Al Sharpton, militant des droits civiques, avait lancé une mise en garde similaire: «Ne pas protéger avec force ce qui a été acquis (sur le droit de vote), c'est manquer de respect envers ceux qui ont fait ces sacrifices».

«Nous avons beaucoup progressé (...), mais l'heure est plutôt à la protestation qu'à la seule célébration», a de son côté souligné le pasteur Jesse Jackson, appelant aussi à s'attaquer «à la question de la pauvreté, qui est une arme de destruction massive».

Selma, ville de 20 000 habitants (dont 80% de Noirs), connaît un taux de chômage supérieur à 10%, soit le double de la moyenne nationale. Près de 40% des foyers y vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Pour Letasha Irby, 36 ans, qui travaille dans une usine de pièces détachées pour l'automobile, «il y a d'autres combats à mener aujourd'hui» en Alabama. «S'ils se sont unis et ont fait front ensemble (il y a 50 ans), cela peut être fait aujourd'hui», ajoute la jeune femme, qui gagne 12 dollars de l'heure et cite, comme priorité, la lutte pour des «salaires décents».

Soulignant l'impact décisif de la marche non violente de Selma sur le «destin» des États-Unis, M. Obama a aussi jugé qu'elle restait une source d'inspiration pour des «millions de personnes» à travers le monde.

«Des rues de Tunis à la place Maïdan en Ukraine, une génération de jeunes gens peuvent tirer leur force de ce lieu».