Ce n'était pas la première fois que Barack Obama abordait la question du profilage racial d'un point de vue personnel. Dans L'audace d'espérer, un livre publié deux ans avant son élection à la Maison-Blanche, il avait évoqué de façon encore plus pointue «la litanie des petits affronts» qui lui avaient été infligés pendant ses «45 années d'existence».

«Les vigiles qui me suivent lorsque je fais des courses dans un grand magasin, les couples blancs qui me lancent les clefs de leur voiture quand je me tiens devant l'entrée d'un restaurant et que j'attends le voiturier, les policiers qui m'ordonnent sans raison apparente de me garer le long du trottoir. Je connais le goût amer de la colère ravalée», a-t-il écrit à l'époque où il n'était encore que sénateur d'Illinois.

En revenant de façon inattendue sur le sujet lors d'un point de presse vendredi, Barack Obama a voulu expliquer à l'ensemble de ses concitoyens la colère manifestée par la communauté afro-américaine à la suite de l'acquittement de George Zimmerman, le vigile qui a abattu Trayvon Martin, un adolescent noir non armé, en Floride en février 2012.

Il n'a pas remis en question le verdict du jury, admettant la pertinence d'un doute raisonnable. Mais il a rappelé les disparités raciales dans l'application des lois pénales aux États-Unis. Et il a fait sienne la conviction de plusieurs Afro-Américains selon laquelle George Zimmerman a décidé de suivre Trayvon Martin parce qu'il était noir.

«Les gens ne doivent pas être jugés sur la couleur de leur peau, mais sur leur personnalité», a déclaré Barack Obama. «Chaque génération semble faire des progrès dans le changement d'attitude en ce qui concerne la question raciale. Cela ne veut pas dire que nous sommes dans une société post-raciale. Cela ne veut pas dire qu'on a éliminé le racisme.»

Préjugés et criminalité

L'intervention du président incitera peut-être des Américains à faire leur examen de conscience en matière de préjugés. Mais elle intervient à une époque où le profilage racial apparaît à plusieurs d'entre eux comme une réponse parfaitement justifiée au problème de la criminalité.

En l'espace de 24 heures la semaine dernière, deux chroniqueurs du Washington Post ont défendu les contrôles au faciès, faisant valoir que les jeunes afro-américains sont responsables d'un nombre disproportionné de crimes. «En cour, cela s'appelle du profilage. Dans le monde réel, cela s'appelle le bon sens», a écrit Kathleen Parker, une conservatrice modérée.

Fin juin, le maire de New York Michael Bloomberg avait employé le même argument pour défendre la méthode appelée stop-and-frisk, qui permet à un policier de contrôler, palper ou fouiller une personne, s'il soupçonne «raisonnablement» cette personne d'avoir commis ou d'être sur le point de commettre un crime.

Il a cependant rejeté les accusations de profilage racial à l'encontre des policiers de New York. «S'il y a une chose, en fait, c'est que nous arrêtons trop de Blancs et pas assez de minorités», a-t-il dit lors de son émission radiophonique hebdomadaire. «Je ne sais pas où ils sont allés à l'école, mais ils n'ont pas suivi de cours de mathématiques ou de logique», a-t-il ajouté en faisant référence aux critiques du stop-and-frisk.

En 2011, les policiers de New York ont effectué 684 330 contrôles dans le cadre du programme stop-and-frisk. Parmi ceux qui ont été visés par cette tactique, 87% étaient des Afro-Américains ou des Latinos et 9% des Blancs. Or, comme le maire de New York se plaît à le rappeler, 90% des suspects dans les cas d'homicides étaient noirs ou latinos en 2011 et 7% blancs.

Le maire Bloomberg a soulevé un tollé à New York avec ses propos parce qu'il a fait fi d'une autre donnée assez importante: 96% des Afro-Américains et des Latinos contrôlés en 2011 ont été relâchés sans avoir été inculpés. Plusieurs d'entre eux avaient été arrêtés pour avoir exécuté un «mouvement furtif», une description policière pour le moins vague. Ces New-Yorkais doivent-ils renoncer à la protection du quatrième amendement de la Constitution contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, au prétexte qu'une minorité de membres de leur communauté commettent un nombre disproportionné de crimes?

Les défenseurs du profilage racial ne semblent pas être troublés outre mesure par cette question. Et l'ironie veut que Barack Obama ait peut-être contribué à les conforter dans leur opinion. Quelques jours avant son intervention sur l'affaire Trayvon Martin, un journaliste lui a demandé si le chef de police de New York, Raymond Kelly, pourrait succéder à Janet Napolitano au poste de secrétaire à la Sécurité intérieure.

«Je pense que Ray Kelly est l'un des meilleurs qui soient», a répondu le président en parlant du promoteur numéro un de la méthode stop-and-frisk.