Fabio Heurig et ses amis étaient à l'extérieur d'un bar de Seattle à griller une cigarette quand un homme qui tentait d'échapper à un portier est entré en collision avec eux. Furieux, le fugitif a déchiré sa chemise en pleine rue et s'apprêtait à faire un mauvais parti à un des amis de M. Heurig quand un «superhéros» nouveau genre est arrivé sur les lieux.

Vêtu d'un masque noir et d'un habit musclé, Benjamin Fodor -mieux connu sous le nom de «Phoenix Jones»- a mis fin à l'altercation, au grand soulagement du groupe de M. Heurig, en aspergeant l'agresseur de gaz poivré.

Quelques heures plus tard, toutefois, M. Fodor s'est retrouvé en prison et faisait l'objet d'une enquête pour assaut après avoir utilisé les mêmes tactiques contre un autre groupe, ce qui a jeté une douche d'eau froide sur la petite communauté de quelques centaines de superhéros masqués qui patrouillent les rues américaines.

Le phénomène est de plus en plus populaire, notamment en raison de films comme Kick Ass, en 2009, et du documentaire Superheroes qui a récemment été diffusé sur les ondes du réseau HBO. Certains craignent maintenant que ces nouveaux superhéros ne mettent leur sécurité ou celle du public en danger et vont jusqu'à proposer la création d'un organisme pour encadrer le tout.

«Le mouvement est en pleine croissance, a expliqué Edward Stinson, le responsable d'un site web qui prodigue des conseils aux superhéros. Je leur dis, «Vous n'êtes plus dans l'ombre. C'est une époque nouvelle (...). Gagnez la confiance (du public). Établissez des normes. Il faut que les vrais superhéros méritent ce titre et qu'ils prêtent serment.»»

Le site www.reallifesuperheroes.com compte 660 membres à travers le monde, allant de la «New York Initiative» de New York à un personnage qui se fait appeler Nightbow et qui dit patrouiller les rues de Carlisle, au Royaume-Uni.

M. Fodor est le membre le plus en vue du Rain City Superhero Movement, à Seattle. Très tôt le 9 octobre dernier, environ deux heures après avoir sauvé les amis de M. Heurig, il s'en est pris à un groupe qui quittait un bar de la ville, pendant qu'un vidéographe filmait son intervention. Les images sont imprécises, mais M. Fodor affirme qu'une dispute avait éclaté au sein du groupe, ce que nient les principaux intéressés. La police a été appelée et «Phoenix Jones» s'est retrouvé brièvement en prison, mais aucune accusation n'a encore été portée contre lui.

«De plus en plus de citoyens rapportent avoir été aspergés de gaz poivré par (Fodor) et son groupe, peut-on lire dans le rapport de police. Même s'il a été demandé à (Fodor) de rapporter les incidents au 911, il continue à essayer de résoudre les problèmes par lui-même.»

M. Fodor n'en démord pas. Il s'est présenté devant le tribunal, la semaine dernière, vêtu de son costume sous une chemise, déclarant, «J'ai décidé de m'impliquer pour combattre la criminalité dans mon quartier».

Plusieurs membres de la communauté des superhéros croient toutefois que l'arrestation de M. Fodor marquera une étape: au moment où de plus en plus de gens -et souvent des jeunes- se transforment en justiciers masqués, plusieurs risquent de blesser des innocents ou d'être eux-mêmes malmenés, une publicité négative qui pourrait sonner la mort du mouvement.

M. Stinson, un homme de 40 ans qui se dit ancien militaire, croit que le mouvement devra mieux s'autocontrôler s'il veut continuer à croître. Il imagine un organisme sans but lucratif qui établirait notamment des ponts avec les communautés. Il estime également que les superhéros devraient recevoir une formation pour apprendre à désamorcer des situations potentiellement explosives.

Le cinéaste Michael Barnett a suivi 50 superhéros pendant 15 mois pour son documentaire Superheroes. Il croit que la majorité d'entre eux ont de bonnes intentions, même si leurs tactiques laissent un peu à désirer. «Au fond, les policiers apprécient d'avoir des gens qui les aident, mais ils veulent vraiment, vraiment que ces gars-là respectent la loi», a-t-il dit.

M. Barnett dit avoir rencontré des plombiers, des enseignants, des caissiers et même des pompiers qui adoptent une nouvelle identité à la tombée du jour, au nom de la sécurité. Ils sont armés de gaz poivré et de matraques -traditionnelles ou paralysantes- mais rares sont ceux qui ont été formés au combat ou à l'utilisation de leurs armes, ce qui inquiète les forces de l'ordre.

«Si les gens veulent se déguiser et se balader dans les rues, c'est parfait, a dit le porte-parole de la police de Seattle, Mark Jamieson. Mais ce qui nous inquiète, ce qui n'est pas intelligent, c'est de voir ces gens se lancer dans des situations sans connaître tous les faits.»