Les déclarations alarmistes et les appels à l'action ont beau se succéder, la réaction planétaire à l'épidémie de fièvre Ebola reste à ce jour largement insuffisante, déplorent à l'unisson les organisations présentes sur le terrain en Afrique de l'Ouest. Le grand drame d'Ebola, c'est qu'il effraie même les personnes habituées aux pires crises humanitaires. Résultat: la communauté internationale est plus prompte à sortir le chéquier qu'à mettre concrètement la main à la pâte.

«Tous les intervenants sont en retard», tranche Christophe Stokes, président de la section belge de Médecins sans frontières (MSF), qui coordonne la lutte de l'organisation contre le virus Ebola. «Il y a beaucoup de déclarations, mais la vitesse de déploiement est trop lente.»

MSF estime que le besoin le plus urgent consiste à mettre sur pied des «centres d'isolement et de prise en charge des malades», sans quoi les gens se présentent dans des hôpitaux qui ne sont pas équipés pour les traiter de façon sécuritaire ou qui les renvoient chez eux - ce qui augmente, dans les deux cas, les risques de contagion.

Or, le personnel médical spécialisé manque à l'appel. «Les États, pour l'essentiel, veulent se déployer principalement pour construire les hôpitaux, des centres de traitement, s'occuper de logistique, mais pas forcément pour travailler dans ces centres», poursuit Christophe Stokes.



Ottawa refuse d'envoyer du personnel médical

Le Canada ne fait pas exception: Ottawa a annoncé jusqu'à maintenant une aide de 65 millions, mais rejette l'idée d'envoyer du personnel médical sur place tant qu'il n'y aura pas «la certitude de pouvoir garantir une [éventuelle] évacuation médicale», a affirmé lundi la ministre fédérale de la Santé, Rona Ambrose.

La ministre a expliqué qu'elle travaille de concert avec les États-Unis pour trouver une solution auprès d'une firme privée spécialisée. Dans son entourage, on explique que le Canada ne pourrait pas simplement affréter un de ses appareils pour rapatrier un malade, puisqu'il faut un équipement sophistiqué.

Pendant ce temps, Cuba a envoyé 165 personnes en Sierra Leone et près de 300 autres sont attendues prochainement au Liberia et en Guinée. «Les Cubains sont très, très forts, ils se sont déployés très rapidement et de manière très généreuse, affirme Christophe Stokes. Vu les ressources du pays, c'est assez impressionnant, ce qu'ils sont en train de faire.»

Néanmoins, MSF gère à elle seule plus de la moitié des lits d'hôpital destinés aux victimes d'Ebola. L'organisation a envoyé plus de 700 personnes sur le terrain, jusqu'à maintenant.

À la mi-septembre, l'ONU a lancé un appel mondial afin de recueillir 1,1 milliard pour financer la lutte contre le virus Ebola. La somme recueillie auprès d'États, d'organisations internationales, d'entreprises et de fondations s'élève pour l'instant à 699 millions de dollars, soit 64% de l'objectif.

«On a besoin de tout», répond simplement la porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Nyka Alexander. Et elle énumère, pêle-mêle, comme si elle ne savait plus par où commencer: ambulances, ressources humaines, équipements de protection. «L'équipement, on l'utilise une fois seulement, et ensuite il faut le jeter», illustre-t-elle.

En matière de personnel, ce sont «2400 travailleurs internationaux et 110 000 travailleurs nationaux, incluant les bénévoles, qui sont requis», estime Mme Alexander. Seulement 25% de ces besoins sont comblés à l'heure actuelle.

«C'est ça le problème depuis le début, poursuit-elle. C'est très difficile de trouver des gens pour aller sur le terrain. Ce n'est pas l'expérience qu'on a eue après le typhon aux Philippines, par exemple. On avait beaucoup de gens qui étaient prêts à y aller, qui s'étaient rendus disponibles même avant que la tempête frappe. Mais Ebola, c'est quelque chose qui fait peur.»

Impacts à long terme

Pendant que la crise fait rage, certains commencent déjà à évoquer les impacts à long terme de l'épidémie d'Ebola. Dans une «lettre au monde», la présidente du Liberia et lauréate du prix Nobel de la paix Ellen Johnson Sirleaf a déclaré dimanche craindre qu'une «génération entière soit perdue dans une catastrophe économique causée par la perte des récoltes, la chute des marchés et la fermeture des frontières».

La Banque mondiale estime que l'impact économique de l'épidémie pourrait atteindre 36,8 milliards de dollars pour les trois pays touchés et leurs voisins, selon le scénario le plus pessimiste. Même en tablant sur une sortie de crise rapide, l'organisation estime que l'économie ouest-africaine subirait un contrecoup de 1,8 milliard.

Médecins sans frontières s'attend à des semaines encore très difficiles, mais ne perd pas espoir. L'organisation célébrait d'ailleurs son 1000e survivant d'Ebola, un Libérien de 18 ans guéri il y a quelques jours.

BESOINS MATÉRIELS POUR LUTTER CONTRE L'EBOLA

Ambulances: 45

Véhicules tout-terrain: 316

Voitures: 323

Motocyclettes: 1276

Trousses diagnostiques: 1606

Téléphones: 5060

Trousses d'enterrement: 19 980

Équipement de protection personnelle: 3,3 millions

Source: Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU