Washington maintient la pression sur Moscou, accusé de chercher un «prétexte» pour «envahir» l'Ukraine, avant un face-à-face mercredi à Paris entre les chefs de la diplomatie russe et américain.

S'exprimant pour la première fois à Kiev depuis l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe pro-européenne, le secrétaire d'État américain John Kerry a pris mardi son ton le plus ferme pour critiquer le président Vladimir Poutine.

«Je pense qu'il est clair que la Russie fait tout son possible pour créer un prétexte pour pouvoir envahir davantage l'Ukraine», a-t-il dénoncé lors d'une conférence de presse.

Dans le même temps à Washington, le président Barack Obama a carrément mis en doute la bonne foi de Vladimir Poutine, affirmant que ses déclarations «ne trompent personne».

C'est dans ce contexte tendu que le chef de la diplomatie américaine retrouve à Paris mercredi son homologue russe Sergueï Lavrov, pour la première fois depuis la mise sous tutelle russe de la Crimée, à l'occasion d'une réunion organisée par le président français François Hollande sur le Liban.

Une rencontre entre les deux responsables, qui se sont beaucoup invectivé au cours des derniers jours, pourrait avoir lieu dans l'après-midi.

Il n'est pas exclu non plus que le président français, hôte de cette réunion prévue de longue date, n'en profite pas pour réunir les principaux acteurs impliqués dans la crise ukrainienne, russe et occidentaux. La réunion internationale sur le Liban est prévue entre 07h00 et 10h00 à l'Elysée.

«Il y aura des contacts sur l'Ukraine», a confirmé l'entourage du président français, sans en préciser le format. Ils interviendront à la veille d'un sommet extraordinaire de l'Union européenne qui pourrait décider de mesures coercitives à l'égard de Moscou, accusé d'avoir violé le droit international et la souveraineté de l'Ukraine en prenant de facto le contrôle de la Crimée.

Parmi les sujets de discussions, devrait figurer l'idée proposée par la chancelière allemande Angela Merkel de créer un «groupe de contact» international sur l'Ukraine, selon Paris.

Dans la matinée, une rencontre trilatérale est prévue par John Kerry avec son homologue britannique William Hague et le ministre des Affaires étrangères ukrainien en exercice, Andrii Deshchytsia, invité de dernière minute à Paris.

Porte de sortie

La fermeté américaine n'empêche pas Washington de chercher une porte de sortie pour la Russie.

L'idée, mentionnée par Barack Obama lors de l'appel téléphonique à son homologue russe samedi, est de répondre point par point aux inquiétudes formulées par Moscou au sujet de la situation chez son voisin, a précisé un haut responsable de la Maison-Blanche.

Après plus de trois mois de crise politique dans l'ex-république soviétique aboutissant à la destitution du président Viktor Ianoukovitch, la prise de contrôle de la plus grande partie de la Crimée par des forces russes a provoqué des tensions inédites depuis la chute de l'URSS entre Moscou et les pays occidentaux.

«Nous pouvons parvenir à une désescalade», a toutefois assuré M. Obama mardi soir.

John Kerry a également assuré ne pas chercher la «confrontation» avec Moscou.

Le secrétaire d'État américain s'est tout de même étranglé lorsqu'un journaliste lui a demandé de réagir au démenti du président russe , qui a évoqué des groupes «d'autodéfense».

«Il a vraiment nié la présence de troupes en Crimée?» a-t-il demandé.

Poutine dénonce un «coup d'État»

Un peu plus tôt, Vladimir Poutine était en effet sorti de son silence pour nier toute implication russe en Ukraine et dénoncer un «coup d'État» contre le «seul président légitime», Viktor Ianoukovitch.

Alors que les Ukrainiens et les Occidentaux craignaient une opération militaire de grande envergure en Ukraine, le chef de l'État russe a estimé que l'envoi de troupes russes n'était «pas nécessaire pour le moment».

En fait, M. Poutine n'a pas entièrement écarté cette option. «Cette possibilité existe», a-t-il dit, précisant que la Russie se réservait le droit de recourir à «tous les moyens» pour protéger ses citoyens dans cette ancienne république soviétique, notamment en Crimée qui compte 60% d'habitants d'origine russe.

Vladimir Poutine, avare de déclarations depuis la destitution le 22 février du président Ianoukovitch après trois mois d'une contestation qui a tourné à la confrontation violente se soldant par la mort de 98 personnes à travers le pays, s'est longuement expliqué.

«Forces locales d'autodéfense» 

«Il ne peut y avoir qu'une seule appréciation sur ce qui s'est passé à Kiev et en Ukraine: il s'agit d'un coup d'État anticonstitutionnel, d'une prise de pouvoir par les armes», a-t-il martelé.

Les États-Unis avaient déjà accentué leur pression lundi sur la Russie en rompant toute coopération militaire avec Moscou et en menaçant de nouvelles sanctions.

En visite à Tunis, Sergueï Lavrov a affirmé que les menaces de sanctions ne changeraient pas la position russe sur l'Ukraine.

Parallèlement, Moscou va utiliser l'arme économique contre Kiev, ayant décidé de mettre fin au rabais sur le gaz vendu à l'Ukraine accordé en décembre.

Tirs de semonce 

Dans la péninsule de Crimée, objet de l'attention de toutes les chancelleries, le face-à-face se poursuit entre l'armée ukrainienne et des milliers de membres des forces russes qui les contiennent dans leurs casernes. Depuis plusieurs jours, responsables militaires ukrainiens et russes se livrent une guerre des nerfs à coups d'ultimatums sur un possible assaut des forces russes.

Environ 16 000 soldats, dont au moins 5000 arrivés ces derniers jours, occupent la Crimée où ils cernent la plupart des sites stratégiques (navires de guerre, casernes, bâtiments de l'administration).

Mardi soir, une vingtaine de soldats assistés de manifestants pro-russes ont tenté de prendre d'assaut une base ukrainienne.

Pour la première fois, les forces russes qui encerclent la base aérienne ukrainienne de Belbek, en Crimée, ont tiré des coups de semonce sur les militaires ukrainiens qui tentaient de s'approcher.