La ville de Newtown ne tiendra aucune cérémonie pour commémorer la tuerie de l'école primaire Sandy Hook, dont le premier anniversaire aura lieu samedi. Mais le père d'une des petites victimes d'Adam Lanza a accepté de s'ouvrir à La Presse sur cette tragédie avant de la marquer en privé, comme le feront les autres familles.

Ian Hockley comprend très bien le besoin de célébrer les anniversaires, y compris ceux qui rappellent les événements les plus tragiques. Il y voit un trait de la nature humaine auquel il n'a pas l'intention de se soustraire. Aussi marquera-t-il une pause à 9h35, le 14 décembre, pour souligner le moment probable où son fils Dylan est mort sous les balles d'un tireur fou, Adam Lanza, il y aura alors exactement un an, dans l'école primaire de Sandy Hook.

Mais il n'aura pas besoin de ce premier anniversaire pour ramener le souvenir de sa douleur.

«Nous vivons ça depuis 365 jours», a déclaré le père de 43 ans au cours d'un entretien dans un pub de Newtown, où des clients accoudés au bar ont salué son arrivée avec des mots et des hochements de tête témoignant autant le respect que la sympathie.

«C'est aussi difficile aujourd'hui que ça l'était il y a presque un an», a ajouté ce Britannique d'origine marié à une Américaine du Rhode Island. «Le choc absolu et la colère ont été remplacés par de nouvelles émotions, mais c'est toujours la même chose dans la mesure où nous avons perdu Dylan.»

Le jour de notre rencontre, un nuage de bruine et de brouillard enveloppait Newtown, où la vie semblait tourner au ralenti. À l'entrée de la ville, un drapeau en berne était l'un des rares signes du deuil collectif observé depuis la tuerie qui a fait 28 morts, dont 20 enfants âgés de 6 et 7 ans.

La tranquillité de cette localité bucolique du Connecticut risque cependant d'être troublée cette semaine, n'en déplaise à son maire, Pat Llodra, qui a adressé cette requête au monde entier à l'approche du 14 décembre: «Nous souhaitons ardemment que les nombreuses personnes qui nous veulent du bien, et les médias, nous permettent d'être seuls et tranquilles à ce moment-là.»

Loin des journalistes et des curieux

Plusieurs parents de victimes ne courront pas le risque. Ils passeront la semaine à l'extérieur de Newtown pour éviter les journalistes et les curieux. Ian Hockley tentera également d'échapper à l'attention du public avec sa femme Nicole et leur fils Jake, âgé de 9 ans.

Mais avant de s'effacer, il a accepté d'accorder une entrevue à La Presse pour revenir sur la dernière année et rendre hommage à son fils Dylan, au nom duquel lui et sa femme ont créé une fondation destinée à venir en aide aux enfants atteints d'autisme.

«Nous voulons partager la mémoire de Dylan avec des milliers, voire des millions de personnes qui ne l'ont jamais connu mais qui ont été secouées par la tragédie et qui veulent en savoir plus, a expliqué Ian Hockley. J'accepterai toujours de faire ça. Je parlerai toujours de la fondation, de la façon dont notre famille traverse cette épreuve et de toutes ces choses dont certains parents de victimes préfèrent ne pas parler, car cela fait partie de notre vie maintenant. Nous devons intégrer ça à notre vie.»

Deux ans avant la tuerie, Ian Hockley avait été muté aux États-Unis par son employeur, IBM, avec sa femme et leurs garçons nés en Angleterre. Au moment du drame, la famille louait une belle et grande maison à Newtown, rue Yogananda, à quelques portes seulement de la résidence d'Adam Lanza et de sa mère Nancy, dont elle ne savait rien.

Dylan et son frère Jake fréquentaient tous les deux l'école primaire Sandy Hook.

«Dylan était autiste, rappelle son père. Il adorait aller à l'école. Il était intégré à une classe ordinaire et ses compétences scolaires se renforçaient. Il accusait un sérieux retard de langage mais il apprenait à lire, il connaissait ses chiffres et ses lettres. C'était un bon enfant, un enfant très sage. Il pouvait devenir très frustré, anxieux et nerveux mais, la plupart du temps, il était la joie incarnée.»

Une relation particulière

Dans sa classe, Dylan jouissait de l'attention particulière d'Anne Marie Murphy, une aide-enseignante âgée de 52 ans.

«Dylan était très attaché à Anne Marie, raconte Ian Hockley. Le fait qu'il pouvait avoir avec elle cette relation un à un était merveilleux. Dylan recherchait toujours son support et cela s'est poursuivi jusqu'au moment de sa mort.»

En effet, après le massacre, Dylan Hockley et Anne Marie Murphy ont été retrouvés sans vie, dans les bras l'un de l'autre.

Lors des deux ou trois premiers jours qui ont suivi la tragédie, Ian et Nicole Hockley, paralysés par la douleur, se sont coupés du monde. Des amis les ont aidés à surmonter le choc initial en leur parlant des messages de condoléances et des offres de don innombrables qui leur parvenaient des quatre coins du monde. C'est alors qu'ils ont conçu l'idée de créer le Dylan Hockley Memorial Fund, qui servira à financer des programmes scolaires et sportifs pour les enfants autistes.

Changer d'adresse

Quelques jours plus tard, les Hockley ont pris une autre décision importante, celle de rester à Newtown, mais pas à la même adresse, car ils ne pouvaient plus supporter de voir la maison qui avait abrité le tueur de leur enfant.

Un an plus tard, Ian Hockley se réjouit de voir son fils Jake redevenir l'enfant heureux qu'il était avant la mort de son frère Dylan.

Un an plus tard, Ian Hockley préfère ne pas entretenir de sentiments négatifs envers Adam Lanza.

«Il est mort. Mon fils est mort. Et je ne veux pas choisir la haine. Je veux choisir l'amour, le progrès et le changement. Je suis plein d'espoir pour l'avenir. Nous contribuerons au changement et la fondation n'est qu'un des moyens pour y parvenir», dit le père de Dylan Hockley, dont la femme milite au sein de Sandy Hook Promise, un groupe voué à la prévention de la violence causée par les armes à feu.

Tueries de masse américaines en 2013

Date / Ville / État / Nombre de morts

1er décembre / Topeka / Kansas / 4 (drame familial)

23 novembre / Tulsa / Oklahoma / 4 (autre)

23 novembre / Parsons / Kansas / 4 (drame familial)

7 novembre / Jacksonville / Floride / 4 (autre)

29 octobre / Callison / Caroline-du-Sud / 5 (drame familial)

28 octobre / Terrell / Texas / 5 (autre)

26 octobre / Phoenix / Arizona / 4 (autre)

9 octobre / Paris / Texas / 4 (autre)

20 septembre / Rice / Texas / 4 (drame familial)

16 septembre / Washington D.C. / - / 12 (fusillade publique)

11 septembre / Crab Orchard / Tennessee / 4 (vol à main armée)

14 août / Oklahoma City / Oklahoma / 4 (drame familial)

7 août / Dallas / Texas / 4 (drame familial)

26 juillet / Clarksburg / Virginie-Occidentale / 4 (autre)

26 juillet / Hialeah / Floride / 6 (fusillade publique)

7 juin / Santa Monica / Californie / 5 (fusillade publique)

13 mai / Fernley / Nevada / 5 (vol à main armée)

11 mai / Waynesville / Indiana / 4 (autre)

28 avril / Ottawa / Kansas / 4 (drame familial)

24 avril / Manchester / Illinois / 5 (drame familial)

22 avril / Federal Way / Washington / 4 (drame familial)

18 avril / Akron / Ohio / 4 (vol à main armée)

13 mars / Herkimer / New York / 4 (fusillade publique)

19 janvier / Albuquerque / Nouveau-Mexique / 5 (drame familial)

7 janvier / Tulsa / Oklahoma / 4 (vol à main armée)

Source: USA Today

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Dylan Hockley a été assassiné le 14 décembre 2012 à l'école Sandy Hook.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Le nom de Dylan Hockley est inscrit sur l'une des 20 croix du mémorial.

Flambée de demandes de permis de port d'armes

La donnée a de quoi décourager les partisans du contrôle des armes à feu: au cours des 10 premiers mois de l'année, la police de Newtown a reçu 253 demandes de permis d'armes à feu de poing, presque autant que le total de 270 des deux années précédentes, soit 171 en 2012, et 99 en 2011.

Mais Monte Frank refuse de céder au découragement.

«C'est malheureux, mais cela nous démontre que notre message en faveur de mesures et de lois raisonnables et responsables en matière d'armes à feu est entendu», a déclaré le président de la Newtown Action Alliance, une organisation créée dans la foulée de la tuerie de l'école Sandy Hook.

Autrement dit, plusieurs citoyens de Newtown ont voulu devancer toute loi susceptible de restreindre leur accès aux armes à feu. Ils n'avaient rien à craindre de Washington, où le Congrès a été incapable de s'entendre sur la moindre mesure pour durcir les lois sur les armes à feu.

Mais ils avaient raison de croire que les parlementaires du Connecticut ne resteraient pas inactifs après la tragédie de Newtown. Ceux-ci ont adopté en avril une nouvelle loi rendant obligatoire la vérification des antécédents de tous les acheteurs d'armes à feu et interdisant plus de 160 armes d'assaut ainsi que les chargeurs de grande capacité (plus de 10 balles).

Le Connecticut devenait ainsi le troisième État, après New York et le Colorado, à durcir ses lois après le drame de l'école Sandy Hook.

Le premier anniversaire de la tuerie de Newtown permettra aux partisans du contrôle des armes à feu de relancer le débat national sur cette question. Cette semaine, la Newtown Action Alliance organisera notamment un rassemblement de deux jours à Washington, qui se terminera jeudi après-midi par une cérémonie à la cathédrale nationale en hommage aux victimes de violence due aux armes à feu.

Des parents de victimes et des survivants des tueries d'Aurora, de Tucson et de Virginia Tech seront présents.

«Ce sera non seulement une occasion de détourner l'attention de Newtown, qui veut être laissé en paix, mais également de rappeler au public que plus de 30 000 personnes sont tuées chaque année par une arme à feu», a déclaré Dave Eckert, un des organisateurs de l'événement.

Des parents de victimes de la tuerie de Newtown ont lancé de leur côté, en novembre, une nouvelle initiative, baptisée Parent Together, pour prévenir la violence due aux armes à feu. Cette initiative vise moins à changer les lois sur les armes à feu que les mentalités. Elle jouit de l'appui des vedettes de l'émission Modern Family, qui ont tourné une vidéo faisant la promotion de l'objectif du groupe.

«Nous pouvons changer le débat en mettant en valeur ce que nous avons en commun plutôt que ce qui nous différencie», a déclaré Mark Barden, père du petit Daniel Barden, lors du dévoilement du projet, à la mi-novembre.

«Nous n'en sommes qu'aux premiers milles d'un marathon», a-t-il ajouté en faisant allusion à l'immobilisme du Congrès américain sur la question des armes à feu. «Ce n'est pas un sprint. Ces choses prennent du temps.»

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Un nuage de brouillard enveloppait la ville la semaine dernière.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Une statue de la vierge Marie à l'entrée du cimetière St. Rose, à Newtown.