Quelques pas dans l'appartement du peintre montréalais Liuyi Wang permettent de comprendre qu'un certain 4 juin - le 4 juin 1989 - a eu l'impact d'une bombe dans sa vie. Les murs sont monopolisés par d'immenses tableaux. Dans le salon, on voit un couple qui essaie d'échapper au gaz lacrymogène. Dans le corridor, un char d'assaut kaki semble foncer sur celui qui l'observe.

«Je voulais montrer ce qui s'est passé pendant les événements de Tiananmen. C'est mon angle, une petite partie de la vraie histoire», dit l'artiste d'origine chinoise aujourd'hui âgé de 44 ans.

Il y a 20 ans, il n'avait jamais entendu parler de Côte-des-Neiges, le quartier qu'il habite aujourd'hui. Il vivait avec ses parents dans un quartier de Pékin, à un jet de pierre de la place Tiananmen. «Je suis né à Pékin, j'ai grandi à Pékin, j'ai fait mes études et j'ai travaillé à Pékin», énumère-t-il fièrement. Pas de doute, il a toujours la capitale chinoise tatouée sur le coeur.

Quand, en avril et en mai 1989, des étudiants ont transformé la place Tiananmen en campement de protestation contre le régime communiste, qu'ils jugeaient corrompu et trop peu démocratique, Liuyi Wang a pris l'habitude de leur rendre visite une fois de temps en temps.

«Le succès des manifestations nous montait à la tête. Nous étions complètement euphoriques», dit-il aujourd'hui pour justifier plusieurs des risques qu'il a pris à l'époque.

Dès la fin du mois d'avril 1989, le gouvernement chinois avait laissé entendre dans les journaux que l'armée pouvait intervenir à tout moment, par la force, pour mettre fin aux manifestations.

L'avertissement n'avait en rien calmé les ardeurs des étudiants et de leurs sympathisants. «Personne ne croyait que l'armée allait ouvrir le feu sur nous», laisse tomber Liuyi Wang en haussant les épaules.

Il a commencé à y croire quand un Pékinois qui tentait de freiner l'avancée des soldats dans une rue de la ville a été touché d'une balle au genou. «Nous avons vu qu'elles n'étaient pas en caoutchouc. Nous avons ramassé des balles par terre pour prouver que tout ça avait bien eu lieu», raconte-t-il.

Montréalais depuis 10 ans, Liuyi Wang ne prétend pas avoir été une figure de proue du mouvement pro-démocratie, qui a cru l'espace de deux mois pouvoir changer la Chine de Mao.

Il fait partie des Pékinois qui ont été témoins de l'horreur. Ces derniers n'ont pas été épargnés quand l'armée a eu l'ordre, le 4 juin 1989, de mettre fin à la dissidence.

Selon plusieurs rapports, la plupart des victimes - on les estime à plusieurs centaines - n'ont pas été tuées sur la place Tiananmen, mais dans les rues de Pékin qu'ont empruntées les chars d'assaut.

Au moment des événements, plusieurs de ses proches lui avaient recommandé de ne pas prendre de photos. Ils étaient convaincus que la possession d'un appareil pourrait attirer vers lui le canon d'un fusil. Il les a écoutés et s'est contenté de graver des centaines d'images dans sa mémoire. Pendant 17 ans, elles y ont somnolé. Puis, il y a trois ans, il a dégoupillé ses souvenirs. Il en a tiré des toiles en format géant et un projet de film d'animation. «L'humain est comme un animal. Nous oublions l'histoire et nous retrouvons l'espoir. Mais c'est un faux espoir, croit le peintre. Le gouvernement chinois est de plus en plus fort. Le régime peut se libéraliser un peu, mais il désire toujours contrôler la population, et ça, il ne faut jamais l'oublier».