Un vieux matelas brûle au milieu des gravats, projetant de hautes flammes qui se mêlent aux rayons du soleil couchant. À quelques pas de là, une femme assise par terre écale des graines de tournesol.

Derrière elle, la toile qui lui sert d'abri. Devant, des tiges de métal, de la tôle tordue et une cuvette de toilettes, miraculeusement intacte. C'est tout ce qui reste de ce qui constituait, jusqu'à tout récemment, sa maison.

«Farès, mon fils de 12 ans, Rezga, ma fille de 14 ans, ont été tués. Leur père a été grièvement blessé», énumère Iptisam Samouni, une femme dans la jeune trentaine dont le visage est enserré dans un foulard vert.

Il y a des jours que cette mère de famille récite son histoire aux journalistes et enquêteurs internationaux qui défilent dans son quartier, l'un des plus endommagés par la guerre.

La famille Samouni a tout perdu le 5 janvier, jour où des chars israéliens ont attaqué Zeytoun, un quartier périphérique de la ville de Gaza.

Une centaine de personnes, la plupart apparentées à ce clan, avaient trouvé refuge chez Iptisam après que l'armée israélienne les eut sommées de quitter leurs maisons.

Mais à l'aube, sans avertissement, les chars ont visé leur refuge. C'était la panique. «Les enfants criaient, ils voulaient sortir. Nous avons pris des foulards pour les agiter devant nous. Puis nous avons marché tandis que les soldats nous tiraient dessus.»

L'histoire de la famille Samouni, c'est l'un des pires carnages de la guerre de trois semaines lancée par Israël deux jours après Noël, en réponse aux incessants tirs de roquettes du Hamas.

Selon le Centre palestinien pour les droits de l'homme, 27 membres de la famille Samouni ont été tués ce jour-là. Plusieurs des blessés que les rescapés ont dû laisser derrière eux ont saigné à mort: le quartier a été fermé aux ambulances. Quand ses habitants sont revenus, leurs maisons avaient été rasées par les bulldozers.

«Il n'y avait aucun combattant chez nous», jurent quelques femmes rassemblées autour d'Iptisam. Des volées de mouches tournoient autour d'elles. Une odeur de charogne imprègne l'air. C'est à cause du poulailler qui a été détruit pendant la guerre, laissant un tapis de plumes blanches sur le sol.

La haine

«Nous n'aimons pas le Hamas. Les roquettes, vous voyez bien ce que ça donne. Dans cette guerre, il y a des responsabilités des deux côtés. Mais les Israéliens n'ont pas besoin d'aide pour détruire», dit avec amertume l'une des jeunes femmes, Nahla.

L'offensive contre Gaza a fait 1300 morts, en grande majorité des civils. L'armée israélienne a beau soutenir qu'il s'agit de dommages collatéraux, la guerre a laissé ici le sentiment que, désormais, aucun Palestinien de Gaza n'est à l'abri.

«L'armée israélienne s'est carrément vengée sur les civils», clame Maher Abed Rabbo, qui habite un autre quartier durement touché par le conflit.

Sa famille s'entasse dans l'unique pièce intacte d'une maison dont le toit est à moitié écroulé. Les femmes crient leur désarroi, elles parlent les unes par-dessus les autres. Elles racontent comment l'armée israélienne les a sommées de quitter la maison, comment elles ont marché avec leurs drapeaux blancs. Et comment, malgré tout, des soldats leur ont tiré dessus.

Contrairement à plusieurs autres Gazaouis, les Abed Rabbo reconnaissent qu'il y avait des «résistants» dans les rues de leur quartier. Mais pourquoi tirer sur des femmes et des enfants en marche? Pourquoi bloquer les ambulances? Elles ne voient qu'une explication: la cruauté des soldats.

«Je l'étranglerais de mes propres mains!»

«Ici, c'est le pays de la mort», nous lance Nasreen al-Najar à Khaza, un village du Sud proche de la frontière avec Israël.

Le 13 janvier, des dizaines de voisins se sont rassemblés dans sa cour, chassés de chez eux par une fumée irrespirable.

Quand ils ont vu des chars pousser vers eux un mur de gravats, ils ont fui vers la rue, où ils ont été accueillis par des tirs. Prises en sandwich entre deux dangers, quelques femmes se sont avancées vers les chars en brandissant un tissu blanc. L'une d'entre elles a été abattue d'une balle dans la tête. Elle s'appelait Rawhiya. Elle avait 47 ans.

«De quoi Rawhiya était-elle donc coupable pour mériter la mort?» s'indigne sa voisine, Eman al-Najar. Sa propre maison a été détruite par les bulldozers. Même avec les 4000 $ que lui promet le Hamas, elle ne voit pas comment elle va la reconstruire. D'autant plus qu'Israël bloque l'entrée des matériaux de construction à Gaza.

«Dites-moi, où je vais dormir, maintenant? Comment je vais vivre?»

Il y a quelques années, Eman s'était liée d'amitié avec un Israélien qui lui avait envoyé, par erreur, un message texto. Les deux se sont parlé au téléphone. «Il comprenait ma situation, mais maintenant, je vois que les voix comme la sienne sont trop faibles en Israël.»

Et, au lendemain de l'opération «Plomb durci», la femme de 29 ans n'a plus aucune envie d'avoir des amis en Israël. «Ils nous traitent tous comme des cibles. On pourrait arrêter les roquettes, ça ne changerait rien. Aujourd'hui, si je voyais un Israélien, je l'étranglerais de mes propres mains!» Autour de nous, des enfants l'écoutent sans dire un mot.

Partie remise?

Parmi les nombreux témoignages recueillis à Gaza cette semaine, nous avons entendu des gens approuver les agressions contre Israël et d'autres, les dénoncer. Certains ne voulaient rien savoir du Hamas, tandis que d'autres vantaient l'honnêteté de ce parti islamiste soutenu par l'Iran. Un étudiant en administration nous a dit qu'il ne savait que penser du gouvernement du Hamas. «Pour le savoir, il aurait fallu que je le voie gouverner, mais Israël ne nous en a pas laissé la chance.»

Politiquement, les Gazaouis sont loin de former un bloc monolithique. Mais les trois semaines de guerre ont renforcé chez eux la haine et la peur de leur voisin juif. Et contrairement aux voeux d'Israël, elles ont joué en faveur du Hamas.

«Quand ils voient combien de civils ont été exposés aux bombes, les gens constatent que, même sans adhérer au Hamas, ils sont visés. Alors ils se disent qu'au moins, s'ils joignent la résistance, ils seront peut-être mieux protégés», déplore Jaber Wishah, du Centre palestinien pour les droits de l'homme.

Cet effet boomerang est d'autant plus fort que tous appréhendent une nouvelle offensive. Il faut dire que, à quelques dizaines de kilomètres de Gaza, la campagne en vue des législatives israéliennes du 10 février favorise des partis de droite qui appellent l'armée à «finir son travail» à Gaza. Ces slogans traversent facilement les postes de contrôle les plus étanches.

Même les travailleurs humanitaires perdent espoir. «Habituellement, nous aidons les enfants à surmonter leurs traumatismes», dit Claudia McKeen, médecin d'une ONG venue organiser des activités dans le quartier de Zeytoun.

«Mais ici, c'est différent. Les choses terribles qu'ils vivent ne sont pas terminées. Nous devons aussi les préparer pour la prochaine fois.»