«Si Oussama ben Laden avait vraiment vécu cinq ans dans cette chambre avec ses trois femmes, c'est lui qui aurait appelé les États-Unis pour venir le tuer!»

Avec cette pirouette humoristique, l'ancien président pakistanais Pervez Musharraf a fait éclater de rire son auditoire... et esquivé les questions insistantes de son intervieweur. Non, a-t-il répété plusieurs fois, les autorités pakistanaises ne savaient pas que l'ennemi no1 des États-Unis se trouvait à Abbottabad. «C'était de la négligence et de l'incompétence à un très haut niveau, a-t-il déclaré. Mais je suis persuadé qu'il ne s'agissait pas de complicité.»

Pervez Musharraf, désigné président du Pakistan en juin 2001 (après avoir mené un coup d'État en 1999) jusqu'à sa démission en 2008, était invité hier au Forum international économique des Amériques, qui se tient cette semaine à Montréal. M. Musharraf a parlé pendant une vingtaine de minutes avant de se soumettre à une entrevue menée par le journaliste Charlie Rose, de la chaîne américaine PBS.

Même après avoir admis que l'armée pakistanaise dispose de larges pouvoirs au Pakistan, M. Musharraf a indiqué qu'il était «fort possible» qu'elle n'ait pas été au courant de la présence de ben Laden dans la ville garnison d'Abbottabad. Mais il ne croit pas que le chef d'Al-Qaïda y ait vécu pendant cinq ans, comme l'affirment les Américains.

«Je voudrais voir les preuves, à la fois de sa mort et de sa présence là-bas pendant cinq ans», dit-il.

Ben Laden aurait-il bénéficié de l'appui d'un groupe à l'intérieur du Pakistan? «C'est possible. Mais s'il y a vécu pendant cinq ans, connaissant le fonctionnement de l'armée, le responsable du renseignement dans ce secteur a dû changer au moins deux ou trois fois. Est-ce qu'ils étaient tous complices? Je ne pense pas que ce soit possible.»

Une présence à Abbotabad depuis cinq ans signifierait également qu'il y aurait vécu durant le mandat du président Musharraf. «Il y a une chose que je sais à 100%: je ne le savais pas. Est-il possible que l'armée et l'ISI [les services de renseignements pakistanais] me l'aient caché? Impossible. Donc, il n'y a pas eu de complicité.»

Éviter les erreurs du passé

Dans son allocution, Pervez Musharraf a rappelé comment son pays a aidé les États-Unis à combattre l'invasion soviétique en Afghanistan dans les années 80. Les alliés d'alors ont encouragé les guerriers religieux moudjahiddin à repousser l'URSS en leur fournissant des armes.

«La période entre 1989 et 2001 a été désastreuse, a rappelé M. Musharraf. Après avoir vaincu les Soviétiques, les Américains ont quitté le secteur sans reconstruire.» Les anciens moudjahiddin sont devenus les talibans d'Afghanistan et Oussama ben Laden a commencé son activité terroriste. Puis est venu le 11 septembre 2001.

Aujourd'hui, Pervez Musharraf enjoint aux Occidentaux de ne pas quitter précipitamment l'Afghanistan. «Tout retrait doit être lié à un résultat, dit-il. Le gouvernement canadien a pris la décision de se retirer. Mais je ne crois vraiment pas qu'il s'agisse d'une bonne chose.» Il dénonce par ailleurs «la création d'un Afghanistan anti-Pakistan» par ses voisins indiens et afghans.

M. Musharaf, visé par des accusations concernant sa responsabilité dans l'assassinat de l'ancienne première ministre Benazir Bhutto, n'a pas non plus caché ses ambitions présidentielles pour les élections de 2013. Il s'est attaqué au leadership actuel du Pakistan.

«Il y a clairement un vide», dit l'ancien président, accusant l'administration d'Asif Ali Zardari -mari de Mme Bhutto- pour son laxisme envers les comportements extrémistes.