Des poules courent dans les rayons obliques du soleil levant. Vêtues d'un costume rayé et d'un hijab de dentelle blanche, Kifaya Morabi, 15 ans, et sa soeur Isra, 13 ans, descendent le sentier qui mène à l'école.

Le bâtiment se dessine au bas de la colline de terre ocre. Mais entre le village de Ras Al Tira et l'école du village voisin, Ras Atya, il y a ce fichu check point qui, depuis quatre ans, leur empoisonne la vie. Ras Al Tira fait partie d'une poignée de villages palestiniens que le mur a annexés à l'implantation juive d'Alfe Menache, à quelques kilomètres de la ville palestinienne de Qalqilya.

Tombés du côté israélien du mur, les habitants de ces villages sont enclavés à l'intérieur d'une zone tampon militaire. Ils ne peuvent quitter leur village sans permis, que ce soit pour aller dans les villages palestiniens voisins ou dans la colonie juive à laquelle ils ont été rattachés.

Pour se rendre en classe, Kifaya, Isra et les copines qui se joignent à elles en chemin doivent passer un point de contrôle placé juste devant l'école no 2 de Ras Atya.

Les filles ont une raison particulière de détester ce check point. «Parfois, les soldats de garde nous demandent d'aller dans la chambre pour passer sous le scanner», expliquent-elles pendant que nous marchons vers l'école.

La chambre? En fait, il s'agit d'une cabane munie d'un détecteur de métal, comme dans un aéroport. Pour passer sous ce détecteur, les écolières doivent retirer toute trace de métal de leurs vêtements, y compris les épingles qui retiennent leurs foulards.

C'est humiliant, d'autant plus que les filles sont convaincues que cet appareil permet aux soldats de voir à travers leurs vêtements.

L'autre jour, elles ont défié les militaires. Non, nous n'irons pas dans la «chambre», ont-elles répondu aux soldats. Elles sont restées là, coincées entre les deux villages, jusqu'à ce qu'un soldat leur promette qu'elles seraient désormais dispensées de la «chambre.»

Vous n'êtes pas arabes...

Quand nous les avons rencontrées, elles n'osaient pas trop croire à leur victoire. Car ici, les règles varient selon l'humeur des soldats, comme l'illustre la conversation surréaliste que nous avons eue avec une soldate israélienne.

-Est-ce vrai que les filles n'iront plus dans la chambre? Avons-nous demandé à la militaire.

-Jamais entendu parler de ça.

-Pourquoi leur faites-vous subir ce contrôle?

-Pour la sécurité du pays.

-Mais croyez-vous vraiment qu'elles cachent des explosifs sous leur voile?

-Euh... non, pas vraiment.

-Et pourquoi ne nous avez-vous pas demandé, à nous, de passer sous le détecteur?

-Ben, vous n'êtes pas arabes, vous...

Une affirmation qui a dessiné un sourire ironique sur le visage de ma traductrice. Arabe, comme il se doit.

Pas de papiers

Deux petits villages collés l'un à l'autre, séparés par une barrière infranchissable sans permis. «Cette situation cause beaucoup de stress aux élèves; elles ont peur de ce qui les attend sur le chemin du retour, leurs résultats scolaire s'en ressentent», dit la directrice de l'école, Shada Marabi.

Les deux villages sont terriblement affectés par la barrière de protection, confie-t-elle. Il n'y a pas que ces élèves qui arrivent en retard à cause d'un délai au check point. Ou qui n'arrivent pas du tout, en raison d'un bouclage.

Comme plusieurs de ses voisins, Shada Marabi a de la parenté à Ras Al Tira. Mais elle n'a pas de permis pour entrer dans la «zone tampon». Et elle pense qu'elle n'a aucune chance d'en obtenir un, même pour des raisons exceptionnelles: «Vous comprenez, mon mari est islamiste...» dit-elle avec une certaine fierté.

Victoire douce-amère

Les cinq villages palestiniens annexés à Alfe Menache ont protesté contre le tracé du mur. Trois d'entre eux ont obtenu gain de cause. La construction de la nouvelle barrière devait commencer peu de temps après notre passage.

Quand elle sera terminée, les fillettes de Ras Al Tira vivront donc de nouveau... en Cisjordanie. Et n'auront plus à passer «dans la chambre» sur le chemin de l'école.

Les dirigeants d'Alfe Menache, qui ont refusé toute rencontre avec La Presse, étaient furieux contre ce jugement, qui délimite clairement la frontière au-delà de laquelle la colonie ne pourra plus s'étendre.

Mais la décision fait aussi des malheureux dans les villages palestiniens qui devront céder plusieurs dunums de terrain pour faire place au nouveau mur.

Surtout à Wadi Rasha, voisin immédiat de la colonie juive. « Ici, 22 familles ont déjà perdu toute capacité de cultiver leurs terres. Et nous allons en perdre davantage », déplore Murad Morabi, membre du conseil du village.

«Le mur actuel fait de nous des prisonniers. Le nouveau mur nous rendra misérables», conclut-il.

Des milliers de cas

Hani Amir et les écolières de Ras Al Tira ne sont pas les seuls. Selon un rapport d'OCHA (Bureau de coordination pour les affaires humanitaires de l'ONU), une fois que la barrière sera terminée, 35000 Palestiniens tomberont dans la zone tampon, du côté israélien du mur.

Selon Ray Dolphin, responsable de ce dossier à OCHA et auteur d'un livre sur la barrière de sécurité, Israël souhaite ultimement annexer cette zone tampon - mais sans ses habitants. Alors il leur rend la vie difficile...