Avec l'élan de sympathie suscité par la révolution tunisienne du jasmin, les critiques de l'opposition redoublaient en France lundi contre la diplomatie française et la ministre Michèle Alliot-Marie, qui avait proposé une coopération sécuritaire au régime Ben Ali.

L'opposition de gauche, toutes tendances confondues, s'est livrée à un tir groupé sur la ligne de non-ingérence et d'attentisme de Paris à l'égard de la dictature de Zine el Abidine Ben Ali, observée depuis le début de la révolte sociale.

Dans sa ligne de mire, plus que Nicolas Sarkozy, sa chef de la diplomatie Michèle Alliot-Marie. Elle se voit reprocher des propos controversés à l'Assemblée nationale le 11 janvier, dans lesquelles elle proposait le «savoir faire» français à la Tunisie pour le maintien de l'ordre et la gestion de manifestations.

La ministre a expliqué avoir voulu contribuer à mettre fin à la répression: «il y avait des tirs à balles réelles, des morts. Pour que de telles situations ne se reproduisent pas dans l'avenir, j'ai donc dit que nous étions prêts à aider à former les forces de l'ordre tunisiennes, comme nous le faisons pour d'autres pays, au maintien de l'ordre en veillant à la préservation des vies», a-t-elle dit au Journal du dimanche.

L'ancienne candidate socialiste à l'élection présidentielle, Ségolène Royal a qualifié son propos de «scandaleux», «venant en soutien d'une dictature». Une «grave faute», a abondé l'ancien premier ministre Laurent Fabius, l'accusant d'«insensibilité». L'ancien ministre Pierre Moscovici a dit avoir eu «honte de notre diplomatie».

La secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, Cécile Duflot a estimé qu'elle «devrait s'excuser auprès des Tunisiens». Même dans la majorité, le centriste Hervé Morin a pris ses distances avec les déclarations de la chef de la diplomatie.

Certains experts et hommes politiques relativisent la faute de la diplomatie française. Du socialiste François Mitterrand à Nicolas Sarkozy, la France a soutenu Ben Ali, considéré comme un «rempart» contre l'islamisme.

Philippe Moreau-Defarges, de l'Institut français des relations internationales (IFRI), juge «excessives» les critiques, même si la proposition de Mme Alliot-Marie pouvait sembler «maladroite».

«Lorsqu'un gouvernement malgré tout ami est plus ou moins en difficulté, on ne tire pas sur une ambulance. Le gouvernement français aurait pu être plus habile mais je ne condamnerais pas sa prudence», a-t-il dit.

«La leçon à tirer, c'est d'abord que nous ne devons pas être aveuglés par nos propres peurs, notamment la peur de la contagion islamiste», a estimé l'ex-premier ministre Dominique de Villepin.

Dans un premier temps, les dirigeants français ont tardé à condamner l'utilisation de la force contre les manifestants. Ce n'est qu'après la chute de l'ex-président tunisien que Nicolas Sarkozy a exprimé, pour la première fois samedi, le soutien de la France au soulèvement tunisien.

Marquant cet appui au mouvement populaire, le ministère des Affaires étrangères a dénoncé lundi les «bandes criminelles» qui cherchent à s'opposer à la transition en Tunisie.

La France a aussi refusé d'accueillir Zine El Abidine Ben Ali et a promis de traquer ses avoirs financiers en France, et ceux de sa famille.

«Qu'il y ait pu y avoir des maladresses ou des incompréhensions, après tout cela est possible» mais «imaginez que la France intervienne dans les affaires d'un pays qui est un ancien protectorat français, qu'aurait-on dit?», a justifié lundi Henri Guaino, conseiller spécial du président français.

Pour lui, Michèle Alliot-Marie a parlé «sans mauvaise intention du tout, à partir d'une analyse qui était la sienne». Quant à savoir si elle doit présenter des excuses, «vous lui poserez la question», a-t-il dit.

«Nous avons sous-estimé l'exaspération» des Tunisiens

Le ministre français de la Défense Alain Juppé a déclaré lundi que les pays «occidentaux», considérant que la Tunisie était un pays «stable», avaient «sous-estimé l'exaspération de l'opinion publique tunisienne face à un régime policier» et «dictatorial».

«Tous les pays, disons occidentaux au sens large du terme, européens et américains, ont considéré que la Tunisie était un pays stable politiquement, qui se développait économiquement, où le statut de la femme s'améliorait, où des classes moyennes émergeaient, où un effort important a été fait du point de vue de l'éducation», a déclaré M. Juppé à Bordeaux, ville dont il est maire.

«Sans doute avons-nous, les uns et les autres, sous-estimé le degré d'exaspération de l'opinion publique face à un régime policier» et «dictatorial», a-t-il poursuivi.

Il a rappelé que les touristes français en Tunisie faisaient actuellement l'objet de rapatriements par les voyagistes, tandis que les résidents français, «pour beaucoup des binationaux», ne font pas selon lui, «l'objet de menaces particulières aujourd'hui».

«Ce que je souhaite surtout, c'est que la Tunisie réussisse son processus d'alternance, ce n'est pas évident parce que, quand on est dans une dictature, les forces d'opposition sont, par définition, mal structurées mais j'espère qu'elles vont pouvoir s'organiser pour présenter au peuple tunisien une alternative crédible», a-t-il ajouté.

La prise de position très molle de Paris après la répression des manifestations qui a fait des dizaines de morts a heurté les Tunisiens de France, qui sont plusieurs centaines de milliers.