Adolescent, Bilel Chaouachi aimait le hip-hop, le break dancing et le kung-fu. Deux événements survenus à l'été 2006 poussent ce jeune Tunisien à changer radicalement de vie. La mort du chef d'Al-Qaïda en Irak, Abou Moussab al-Zarkaoui. Et l'offensive israélienne contre le Hezbollah au Liban. Cet été-là, Bilel Chaouachi abandonne la musique et les arts martiaux, au profit de la religion. Il devient salafiste.

«Le Coran est clair, c'est comme le manuel d'instruction d'une auto. La vraie voie, c'est celle qu'ont tracée les compagnons du prophète.»

En 2007, Bilel Chaouachi tente de rejoindre l'Irak. Il est arrêté et détenu pendant huit mois. Libéré, arrêté de nouveau, cet enfant d'un quartier populaire opte pour une vie de fugitif. La chute du régime de Ben Ali lui permet de prêcher ouvertement sa vision de l'islam. Plus que ça : elle lui permet de jouer un rôle actif dans une société qui ne donne pas beaucoup de chances aux jeunes.

Bilel Chaouachi a arboré pendant plusieurs mois la tenue de salafiste : longue barbe et tunique à mi-mollet. Mais depuis l'attaque contre l'ambassade des États-Unis à Tunis, en septembre, les mouvements extrémistes sont dans la ligne de mire de la police. Quand nous le rencontrons dans un café de Tunis, il porte une barbe taillée de près et une tenue sport. Mais il n'a pas pour autant dilué ses croyances.

«Nous ne croyons pas à la démocratie, le pouvoir appartient à Dieu», explique l'imam de 26 ans. À ses yeux, la laïcité «à la française» entraîne une perte de dignité pour les femmes, ce «joyau qu'il faut protéger». Comme Abou Iyadh, chef du mouvement salafiste tunisien Ansar al-Sharia, Bilel souhaite transformer son pays par un «djihad tendre». Le recours aux armes lui paraît en revanche légitime en Syrie, où se joue une «guerre mondiale contre l'hégémonie américaine».

En novembre, Bilel Chaouachi a causé un choc en exprimant à la télévision tunisienne toute son admiration pour Oussama ben Laden.

Lors de notre rencontre, en avril, Bilel persiste et signe. «Ben Laden est le héros de la lutte contre l'impérialisme russe et américain», dit-il doucement...

Un autre salafiste tunisien, qui se présente sous le nom d'Abou Mouahed, dit avoir ressenti une « véritable joie « en voyant les tours jumelles s'écrouler.

«Enfin le mythe d'une Amérique invincible s'effondrait. J'ai voulu rejoindre les gens qui ont fait ça», confie l'homme de 27 ans, aujourd'hui recherché par la police.

Il nous explique sa vision du «djihad pacifique»: sortir les armes pour imposer le voile islamique, c'est une mauvaise idée. Mais attaquer des artistes pour le péché de blasphème, «c'est un acte d'autodéfense».

Selon Abou Mouahed, la révolution a «changé la donne en Tunisie».

«Le socialisme, le capitalisme, rien n'a fonctionné. Notre option peut être acceptée, parce que toutes les autres ont échoué.»

Les salafistes en Tunisie

Les premières cellules salafistes ont vu le jour en Tunisie à la fin des années 80. Le phénomène était sévèrement réprimé. L'un des leaders du mouvement salafiste tunisien est Seifallah ben Hassine, connu sous le nom d'Abou Iyadh. Il a combattu en Afghanistan et fondé, en 2000, le Groupe combattant tunisien. Condamné à 43 ans de prison en 2003, il a été libéré en mars 2011, dans le cadre de l'amnistie générale qui a suivi la chute du régime de Ben Ali. Il a fondé Ansar al-Sharia en avril 2011, le principal groupe salafiste djihadiste tunisien aujourd'hui. Selon le spécialiste des mouvements salafistes tunisiens Fabio Merone, la Tunisie compte entre 200 et 400 mosquées salafistes djihadistes, et environ 50 000 sympathisants. Ansar al-Sharia est visé par la police depuis les manifestations violentes devant l'ambassade des États-Unis, à la suite de la diffusion du film L'innocence des musulmans, en septembre 2013. Ses membres se font moins visibles, mais leur présence reste tolérée.

PHOTO WASSIM BEN RHOUMA, LA PRESSE

Abdel Wahed Sandesni dirige le lycée de Menzel Bouzelfa, près de Tunis. Il a été battu après avoir refusé des demandes des salafistes.

Un outil d'intégration?

Selon le spécialiste du mouvement salafiste tunisien Fabio Merone, la moitié des membres d'Ansar al-Sharia ont entre 25 et 30 ans. Le tiers est âgé entre 19 et 24 ans. La plupart d'entre eux proviennent de quartiers populaires, qui n'offrent pas beaucoup d'horizons aux jeunes. Pour eux, le mouvement salafiste peut être un outil d'intégration, un moyen de sortir de l'exclusion sociale.

PHOTO FETHI BELAID, ARCHIVES AFP

En novembre dernier, des salafistes se sont rassemblés pour réclamer la libération de suspects arrêtés à la suite de l'attaque contre l'ambassade américaine à Tunis, qui avait fait deux morts en septembre.