Un Roméo blessé et réfugié en Jordanie. Une Juliette restée en Syrie, mais assiégée par les forces du régime. Grâce à Skype, deux enfants jouent Shakespeare dans une adaptation libre de la célèbre pièce Roméo et Juliette racontant une vie brisée par la guerre.

Le metteur en scène syrien Nawwar Bulbul a librement adapté le contenu à la réalité syrienne, incluant la guerre, les bombardements, les réfugiés... Mais pour la trame, il conserve l'histoire d'amour compliquée entre les deux principaux personnages.

La salle de théâtre? C'est le toit d'un bâtiment transformé en hôpital pour les blessés de la guerre en Syrie. Il accueille des dizaines de spectateurs, des blessés syriens pour la plupart.

Sur scène, Roméo alias Ibrahim donne la réplique à une Juliette dont l'identité n'est pas divulguée pour des raisons de sécurité et qui apparaît via Skype sur un écran géant.

Roméo a 12 ans et marche avec des béquilles depuis qu'un bombardement du régime de Bachar al-Assad a frappé une banlieue de Damas en 2014. Il a survécu, mais a perdu sa mère et trois de ses frères, a été opéré à trois reprises à la jambe et doit subir encore deux interventions chirurgicales.

La jeune Juliette est une Syrienne de 14 ans habitant une ville assiégée par les forces du régime de la région de Homs, dans le centre de la Syrie. Sur l'écran, où elle apparaît avec d'autres acteurs, Juliette est voilée et porte un masque cachant à moitié son visage, pour des raisons de sécurité.

«Attirer l'attention sur les zones assiégées»

«Nous avons voulu, à travers cette oeuvre unique, attirer l'attention sur les zones assiégées par le régime en Syrie après l'échec des organisations humanitaires à y faire parvenir la nourriture, l'eau et les médicaments», explique le metteur en scène.

«Nous avons aussi voulu adresser au monde le message que les gens assiégés ne sont pas des terroristes, mais des enfants menacés par les bombardements, la mort et la destruction», dit-il.

Le jeune Ibrahim renchérit: «Nous disons avec cette pièce que nous, les enfants, sommes les victimes de cette guerre.»

L'ONU estime à 440 000 le nombre de civils pris au piège des combats en Syrie et que les agences humanitaires ne peuvent pas atteindre.

Parfois, la réalité s'invite dans la pièce. Les coupures d'internet et d'électricité dans la région de Homs interrompent le spectacle à plusieurs reprises. Une fois, les spectateurs ont dû attendre une heure avant de voir enfin apparaître sur l'écran l'image de Juliette sur son balcon. Et Roméo lui déclarer sa flamme.

En 2014, Nawwar Bulbul avait déjà fait jouer une autre oeuvre de William Shakespeare, «Le roi Lear», dans le camp de réfugiés Zaatari, au nord d'Amman, où ont trouvé refuge quelque 80 000 Syriens fuyant la guerre. En quatre ans de guerre, des millions de Syriens ont dû fuir leur foyer et plus de 215 000 autres ont péri dans les violences.

Mais selon le metteur en scène, sa pièce via Skype est «la première expérience du genre», et elle est avant tout «centrée sur l'amour».

Après des mois de répétitions, Ibrahim dit, les larmes aux yeux, espérer «les voir un jour en vrai, une fois la guerre finie», ces enfants de Homs avec lesquels il discutait quotidiennement.

Ce Roméo et Juliette syrien touche les spectateurs au coeur.

Dans un fauteuil roulant, Mohamed Halima, 24 ans, regrette qu'il n'y ait, selon lui, «plus de possibilité pour une histoire d'amour en Syrie» et que la guerre ait «détruit tout ce qui est beau dans ce pays».

Touché il y a deux ans par cinq balles à la jambe, ce jeune Syrien affirme avoir subi neuf opérations pour éviter l'amputation.

«Chacun de nous, les jeunes, était lié par une histoire d'amour avec une femme. Aujourd'hui, nous ne savons plus où elles sont (...), et si elles sont même encore en vie», dit-il.

«Nous espérons que cette guerre cessera bientôt, afin qu'on puisse revenir à notre vie normale et regarder ce genre de pièces dans de vrais théâtres. Pas sur le toit d'un bâtiment.»