C'est la grande fête de la libération, la victoire de la révolution sur la dictature. Une foule de Tripolitains immense, heureuse, chantante, ivre de cette audace qui après six mois de combats a renversé Mouammar Kadhafi et rendu le pouvoir au peuple.

Ils n'arrêtent pas d'arriver dans la nuit de vendredi à samedi, à pied, en bus, en voitures formant des embouteillages de plusieurs kilomètres le long de la corniche de la capitale libyenne pour atteindre l'ancienne place Verte, lieu symbole du pouvoir de l'ex-homme fort libyen rebaptisé place des Martyrs.

Des dizaines, peut-être des centaines de milliers de personnes, beaucoup de femmes en djellabah ou un simple voile de couleur sur la tête, des fillettes en robe de bal, des jeunes gens à la mode ou des personnes âgées en tenue traditionnelle, venues faire la fête deux jours après s'être recueillies pour célébrer l'Aïd el-Fitr marquant la fin du Ramadan.

Sur toutes les lèvres, une seule phrase, résumant ce qui parti de manifestations réprimées par le régime mi-février s'est achevé par la victoire de ces étudiants, ouvriers, ingénieurs qui soudain ont bravé la peur pour prendre les armes: «Maintenant nous sommes libres».

«Vous sentez comme l'air que nous respirons est pur ! Nous avons rêvé de vivre cela pendant 42 ans et c'est devenu réel. Aujourd'hui je ne rêve plus. Notre avenir est radieux», lance Manal Al-Deber pilote de 35 ans.

«Libyens levez la tête, vous êtes libres !», «La Libye est comme une fleur !», lancent les hommes et les femmes qui se succèdent sur la tribune aux pieds de la citadelle ottomane du Sérail rouge, là-même où Mouammar Kadhafi avait l'habitude de haranguer ses partisans.

«Takbir», crient-ils dans les hauts-parleurs à quoi la foule aux couleurs du drapeau révolutionnaire noir, rouge, vert, répond en un long frisson «Allah Akbar» (Dieu est grand), mots qui ces derniers mois étaient devenu le véritable cri de guerre des rebelles partant au combat.

De jeunes femmes reprennent sans se lasser l'un des chants révolutionnaires que les combattants mettaient à fond dans leurs voitures ces derniers mois dans les villes libérées: «Ooooh, la Libye nous a appelés, nous avons répondu à son appel».

Sur les pick-ups armés de canons, des enfants agitent des drapeaux. Des hommes jeunes et vieux dansent au rythme de tambours en se moquant «de l'homme à la chevelure folle», terme désignant Mouammar Kadhafi.

«Kadhafi a dit que le peuple l'aimait. La population de Tripoli veut lui montrer comme elle aime la révolution», s'exclame un des combattants chargés d'assurer la sécurité Jamal Mansour, 50 ans.

Jeudi encore, date anniversaire de son coup d'État contre le roi Idriss le 1er septembre 1969, l'ancien dirigeant en fuite a appelé «les Libyens, hommes et femmes, à se préparer à la résistance, à une longue guerre».

«Tous ceux qui soutiennent encore Kadhafi doivent rejoindre les rebelles leurs frères pour gagner la guerre», dit un homme à la tribune à l'adresse des forces pro-Kadhafi qui résistent avec l'acharnement des vaincus dans les derniers bastions de Bani Walid (sud) et Syrte (est).

«Thank You», entend-on un peu partout. «Thank you» à la France qui a insisté pour que le Conseil de sécurité de l'ONU autorise les frappes aériennes. À l'OTAN pour avoir envoyé ses avions de combat dans le ciel libyen. Au Qatar et aux Émirats pour avoir soutenu le Conseil national de transition (CNT), organe représentant la rébellion désormais reconnu par une grande partie de la communauté internationale.

Les tirs de mitrailleuse lourde, de lance-roquette, de Kalachnikov des vainqueurs font office de feu d'artifice après avoir terrorisé les Tripolitains lorsqu'ils étaient dans les mains des proKadhafi il y a à peine deux semaines.

Tout le monde se parle, se sourit. «Les gens ont changé. Avant ils étaient tendus, leur visage était horrible, ils passaient leur temps à demander qui êtes vous, que voulez-vous. Aujourd'hui ils sont magnifiques, radieux», s'extasie Ahmed Tarsin, informaticien de 34 ans.