Après plus de cinq ans de chaos en Syrie et à quatre mois de la fin de la présidence américaine de Barack Obama, son secrétaire d'État John Kerry court après son homologue russe Sergueï Lavrov pour arracher à tout prix un accord de sortie de crise.

On ne compte plus les rencontres aux quatre coins du monde entre les deux chefs de diplomatie qui entretiennent un canal de communication privilégié entre deux puissances aux relations glaciales depuis 2012.

La diplomatie russe a annoncé mercredi de nouveaux pourparlers Lavrov-Kerry, jeudi et vendredi à Genève, mais le département d'État ne les a pas confirmés.

Les deux hommes s'étaient déjà entretenus le 26 août dans la ville suisse, puis les 4 et 5 septembre au sommet du G20 en Chine. Mais ces tractations marathon, à l'initiative semble-t-il des Américains, n'ont jusqu'ici rien donné.

Moscou et Washington soutiennent des camps adverses sur le théâtre de guerre syrien et ne s'entendent ni sur les termes d'un cessez-le-feu, ni sur la différenciation entre groupes rebelles modérés et djihadistes, ni même sur une coopération militaire, encore moins sur un règlement politique entre le régime et l'opposition.

Ce terrible conflit s'est complexifié et internationalisé depuis mars 2011 et a provoqué la mort de plus de 290 000 personnes et le déplacement de millions d'autres.

Depuis qu'il est ministre des Affaires étrangères, John Kerry s'est jeté à corps perdu pour trouver une porte de sortie pour la Syrie. Il s'était de même investi pour le processus de paix israélo-palestinien - avant d'échouer au printemps 2014 - et pour l'accord historique de juillet 2015 sur le nucléaire iranien.

L'hyperactivité de Kerry agace 

Mais pour la tragédie syrienne, son hyperactivité agace.

«Kerry donne l'impression que ce sont les États-Unis qui courent après un accord avec les Russes», tacle Joseph Bahout, chercheur français à la fondation Carnegie. «Un secrétaire d'État américain a autre chose à faire que de voir le ministre russe des Affaires étrangères toutes les deux semaines», dénonce-t-il auprès de l'AFP.

Les républicains aussi tirent à boulets rouges.

John Kerry «n'a aucune carte à jouer. Il est assis face à Lavrov (...) avec zéro moyen de pression», s'est emporté Bob Corker, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, sur MSNBC.

Un diplomate occidental trouve aussi que «quelque chose ne fonctionne pas quand on voit les heures et les heures de discussions entre Kerry et Lavrov et les résultats».

«On n'arrive pas à une négociation en disant "je veux un accord à tout prix, même si on le pense"», critique-t-il, M. Kerry étant souvent accusé de chercher avant tout à imposer des compromis, même bancals, sur les crises internationales.

Même au coeur du très feutré département d'État, des diplomates laissent poindre leur agacement face aux voyages incessants de leur ministre qui l'éloignent de Washington trois semaines par mois.

«Pathétique» 

«Cela devient pathétique et ridicule, si ce n'était pas dramatique pour la Syrie», tonne M. Bahout.

Lors du G20 lundi, Vladimir Poutine et Barack Obama ont eu un entretien informel sur la Syrie, mais sans conclure. Le président américain s'est félicité d'un échange «productif», son homologue russe a vanté un «certain rapprochement des positions».

Washington et Moscou co-président le Groupe international de soutien à la Syrie - réunissant une vingtaine de pays, l'UE et l'ONU - qui a adopté en novembre à Vienne un plan de paix entériné en décembre par le Conseil de sécurité.

Cette feuille de route prévoit un cessez-le-feu pour toute la Syrie, de l'aide humanitaire et une transition politique entre le régime syrien et l'opposition modérée.

En outre, les États-Unis et la Russie, qui bombardent séparément en Syrie, discutent depuis juillet d'une collaboration militaire pour faire respecter la trêve et combattre ensemble les djihadistes.

Mais malgré l'engagement armé des États-Unis en Syrie et en Irak, M. Obama demeure un grand sceptique de l'interventionnisme militaire à tout crin. Il refuse de déployer massivement des troupes au sol, au-delà de forces spéciales.

John Kerry, s'il ne s'est jamais plaint de ne pas être assez écouté à la Maison Blanche, avait évoqué ces derniers mois un mystérieux «plan B» pour la Syrie.

«Kerry a souvent dit qu'il avait besoin d'un plan B, il a parfois fait planer la menace. Mais le président ne lui a jamais donné de plan B», déplore James Jeffrey, ex-conseiller du président George W. Bush et expert à l'Institute for Near East Policy de Washington.