Le 10 septembre 2005, Donna Marsh O'Connor a enfin trouvé le courage de se rendre au bureau du coroner de New York, où l'attendait le dossier de sa fille, Vanessa, qui travaillait au 93e étage de la tour sud du World Trade Center.

Elle savait qu'elle trouverait parmi les documents des photos qu'elle ne s'était pas senti la force de voir jusqu'à ce jour. L'une d'elles, prise au polaroïd, montre la jeune femme de 29 ans à l'endroit et dans la position où elle a été retrouvée, le 24 septembre 2001. Son corps n'a pas été déchiqueté ou pulvérisé comme tant d'autres; il était intact.

Sur d'autres photos, on voit les ossements d'un foetus de 4 mois, assemblés avec soin, sur une table recouverte d'une toile bleue. C'est le bébé que portait Vanessa, que le médecin légiste a retiré de son ventre au moment de l'autopsie afin de prouver que la jeune femme, nouvellement mariée, était bel et bien enceinte.

«C'est resté dans ma tête pendant très longtemps», dit Donna Marsh O'Connor. La Presse l'a rencontrée au printemps dernier, chez elle. Elle vit à Liverpool, près de Syracuse, dans le nord de l'État de New York, avec son mari, ses deux fils et Lando, un bichon-yorkie qui accueille les visiteurs en jappant très fort.

«Lando est très nerveux depuis que nous avons fait euthanasier Skye, il y a deux semaines», dit MmeO'Connor. La mort de Skye, le golden retriever de sa fille, représente un autre coup dur pour elle aussi.

Donna Marsh O'Connor ne regrette pas d'avoir vu les photos de sa fille et de son bébé. Mais elle regrette les retombées de ce qui est arrivé le lendemain de sa visite chez le coroner, à l'occasion d'une manifestation organisée par le groupe NY 9/11 Truth devant le siège des Nations unies. Encore sous le choc des images qu'elle avait vues la veille, elle n'a pas prêté attention à la bannière placée au-dessus de la tribune où elle devait prendre la parole. «9/11 Was an Inside Job» («Le 11-Septembre est un coup monté de l'intérieur»), pouvait-on y lire.

Elle n'a pas non plus cherché à réprimer sa rage à l'égard de George W. Bush et de Dick Cheney.

«Je ne voudrais rien retirer de ce que j'ai dit ce jour-là, mais je voudrais que la vidéo de mon discours n'ait jamais été diffusée sur l'internet et que mes deux fils n'aient jamais eu à voir la douleur de leur mère», dit aujourd'hui cette femme menue, dont la voix douce est parfois étranglée par des sanglots.

Cette vidéo a également permis aux critiques de Donna Marsh O'Connor de la ranger parmi les «fêlés» (c'est son mot) qui épousent les théories du complot les plus farfelues à propos des attentats du 11septembre 2001. «Si vous voulez mon avis, Dick Cheney a probablement eu un mot à dire dans la création de ces théories. Y a-t-il une meilleure façon d'éviter d'avoir à répondre aux questions sur ce qui est arrivé, et sur ce que nous avons fait après, que de dire Regardez-moi tous ces fêlés?»

Des questions sur les attentats, Donna Marsh O'Connor s'en pose depuis la première heure. Pourquoi sa fille n'a-t-elle pas été évacuée de la tour sud après l'impact du premier avion? Pourquoi la NORAD n'est-elle pas intervenue pour intercepter les avions piratés? Pourquoi George W. Bush est-il entré dans cette école primaire de Floride après la première attaque contre le World Trade Center? Pourquoi l'espace aérien au-dessus du Pentagone n'a-t-il pas été mieux protégé?

Jusqu'à la campagne présidentielle de 2004, Donna Marsh O'Connor s'est contentée de soulever en privé ces questions et plusieurs autres. Mais Dick Cheney l'a incitée à s'exprimer sur la place publique en suggérant que les Américains s'exposeraient à une nouvelle attaque terroriste en votant pour John Kerry.

«Croyez-le ou non, j'ai plus peur de vous que d'une autre attaque de ben Laden», a écrit Donna Marsh O'Connor dans une lettre ouverte à Dick Cheney publiée lors du troisième anniversaire des attentats du 11septembre 2001.

C'était le début de sa campagne pour la création d'une «véritable» commission d'enquête sur cette tragédie. Si elle n'est pas prête à dire que les attaques ont été fomentées de l'intérieur, elle n'hésite pas, en revanche, à évoquer la possibilité que les dirigeants américains aient choisi de ne pas tenir compte de renseignements alarmants «parce qu'ils voulaient quelque chose qui les mènerait en Irak».

«Ce sont des criminels, dit-elle au sujet de George W. Bush et de Dick Cheney. Ils ont tué bien plus de gens qu'Oussama ben Laden.»

Depuis quelques années, Donna Marsh O'Connor est porte-parole de l'organisation September 11th Families for Peaceful Tomorrows. À ce titre, elle a notamment défendu le projet de construction d'une mosquée et d'un centre culturel islamique près de Ground Zero.

«Nous voulons lutter contre l'idée que les familles du 11-Septembre sont un monolithe», dit-elle.

Mais rien ne comblera le vide et le désarroi créés par la mort de sa fille et par la conviction que son pays ne sera jamais plus le même après les guerres d'Afghanistan et d'Irak, le Patriot Act, Guantánamo, etc.

«Pour moi, il n'y a aucune différence entre les événements personnels et les événements politiques liés au 11-Septembre, dit-elle. Ils font tous partie du même cauchemar. [...] Je voudrais être celle qui dit: Plantons beaucoup de drapeaux américains autour de nous et bottons beaucoup de derrières. J'aimerais pouvoir me leurrer à ce point.»