L'ancien premier ministre français de Villepin est accusé d'avoir utilisé des documents bancaires falsifiés pour couler Sarkozy. Celui-ci fait partie des plaignants.

Le procès Clearstream, qui s'ouvre aujourd'hui à Paris et durera un mois, c'est d'abord un étripage public entre deux stars de la politique française. Du côté de l'accusation, Nicolas Sarkozy, le président de la République en personne, malgré son rôle de chef suprême de la magistrature et le conflit d'intérêts qui en découle.

Sur le banc des accusés, une vedette déchue, mais vedette tout de même, Dominique de Villepin, 55 ans, ancien premier ministre de juin 2005 à mai 2007. Il a été à ce titre le «patron» de Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. Mais aussi son meilleur ennemi, chargé par Jacques Chirac de «tuer» ce candidat encombrant à la présidence.

En politique française, comme le faisait remarquer un ancien confident du président Chirac, les grands chefs ont toujours évité, même lorsqu'ils étaient victimes de «coups tordus», ce genre d'affrontement public. Sur le terrain judiciaire, cela peut mener à un déballage que personne ne maîtrise plus. Situation d'autant plus étrange que, de par sa fonction, non seulement Sarkozy est le «patron» des juges, mais encore, il bénéficie de l'immunité. Une situation étrange que les avocats de Dominique de Villepin devaient tenter d'exploiter dès ce matin pour «sortir» Sarkozy du procès. Et donner ainsi une première victoire «morale» à l'ancien premier ministre de Chirac.

Affaire rocambolesque

Entre les deux hommes, le dossier Clearstream, une affaire à la fois ténébreuse et rocambolesque. Au mois de juillet 2004, alors que Nicolas Sarkozy est déjà candidat déclaré à la succession de Chirac, et contre lui au besoin, des journaux publient des «révélations» sur «un scandale qui fait trembler la classe politique». De nombreuses personnalités de premier plan - dont on ne dévoile pas le nom - disposeraient de comptes chez Clearstream, un établissement bancaire du Luxembourg à la réputation sulfureuse. Il s'agirait de sommes importantes provenant des commissions occultes touchées à l'occasion de la vente de frégates de guerre françaises à Taiwan.

On saura par la suite que sur ces listes bancaires figurent les noms de Paul de Nagy et Stéphane Bocsa, autrement dit Stéphane-Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa. Une affaire qui pouvait, si elle prenait consistance, mener à la mise en examen de Sarkozy, ce qui l'aurait automatiquement écarté de la course à la présidence pour 2007.

Mais ces listes sont des faux grossiers. Et même surréalistes. On y trouve les noms de dizaines de personnalités, depuis les anciens ministres socialistes Chevènement et Strauss-Kahn jusqu'aux fils de Charles Pasqua et Simone Veil, en passant par la comédienne Laetitia Casta, la chanteuse Alizée et le patron du Nouvel Observateur.

Faux documents

L'affaire tourne court. Le problème, c'est que Dominique de Villepin apparaît au début de l'histoire. À la toute fin de 2003, il a reçu les documents de son ami Jean-Louis Gergorin, ancien haut dirigeant d'Airbus à la personnalité manifestement agitée. Le 9 janvier 2004, Villepin a transmis à son tour «pour enquête» les listes au général Rondot, ancien patron des services secrets à la retraite. Rondot émet rapidement des doutes sur l'authenticité des documents. Villepin insiste et le pousse (selon Rondot) à pousser les recherches du côté de Sarkozy. Au mois de mars, dit aujourd'hui Gergorin, Villepin lui aurait demandé de transmettre les listes à un juge. Finalement, c'est le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, spécialisé dans les affaires politico-financières, qui recevra les documents de source anonyme. Lui aussi en conclura rapidement qu'il s'agit de faux. Mais, dans les semaines suivantes, selon le directeur du Point, Franz-Olivier Giesbert, Villepin aurait «poussé» à la publication dans les journaux. Ce qui fut fait au mois de juillet, alors que le caractère trafiqué du dossier ne faisait plus de doute pour personne.

Dominique de Villepin est donc aujourd'hui poursuivi pour «complicité de dénonciation calomnieuse et usage de faux» aux côtés, notamment, d'Iman Lahoud, informaticien au chômage, qui reconnaît aujourd'hui avoir trafiqué les listes, et de Jean-Louis Gergorin, ancien grand patron de l'aéronautique aujourd'hui quelque peu délirant, qui dit avoir agi sur ordre de Villepin.

Celui-ci aurait pu décider de plaider la bonne foi et la naïveté: oui, il avait cru jusqu'au bout à l'authenticité des documents. Il a choisi au contraire de tout nier en bloc: les documents lui ont été montrés, mais il n'a jamais ordonné d'enquête au général Rondot ni demandé à Gergorin de faire parvenir les papiers à un juge. Et surtout: il est désormais victime d'un règlement de compte de Sarkozy. Et celui-ci abuse de son pouvoir en se portant plaignant.

Une bien mauvaise affaire, tout de même, pour Dominique de Villepin... et pour son image.