Alors que le pays songe à devenir une république, les Taïnos cherchent leur place dans le grand récit national.

(Kingston) On les croyait éteints, disparus depuis plus de cinq siècles. Ce n’est apparemment pas le cas.

En Jamaïque, les Taïnos sont peu nombreux, mais toujours vivants. Et ils aimeraient avoir leur place dans la prochaine constitution du pays.

À l’heure où le pays songe à se défaire du roi pour devenir une république (voir notre dossier de jeudi), ces Autochtones veulent se faire entendre. Défendre leurs droits, leurs terres et leurs pratiques. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Robert Pairman, cacique de la nation taïno jamaïcaine

« Le gouvernement ne sait pas quoi faire de nous », siffle Robert Pairman, alias Kalaan Nibonrix, cacique de la nation taïno jamaïcaine.

On s’attendait à le rencontrer dans les montagnes, au cœur du pays. Il nous donne plutôt rendez-vous dans un Starbucks à Kingston. Robert Pairman a pris une pause du boulot (il travaille dans l’industrie de l’affichage électronique) pour nous expliquer les enjeux et les revendications de son peuple, au moment où la Jamaïque reconsidère son avenir.

La voix est douce, le ton posé, les propos intelligents. Ce qui explique peut-être pourquoi les anciens de sa communauté l’ont désigné comme chef et porte-parole, malgré sa jeune trentaine.

Par peur du ridicule

Comme beaucoup de peuples autochtones, les Taïnos, branche antillaise du peuple arawak, ont été parmi les premières victimes de la colonisation. Lorsque la Jamaïque a été conquise par les Espagnols, à la fin du XVe siècle, la quasi-totalité de sa population a été décimée, en grande partie à cause des maladies importées par les Européens.

Le grand récit jamaïcain considère depuis les Taïnos comme un peuple disparu dont les rares traces ne subsistent que dans la communauté maroon, descendante d’esclaves en fuite, dans laquelle ils se seraient fondus au fil du temps.

Dans un rapport remis l’an dernier au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), le gouvernement jamaïcain a affirmé que la culture taïno existait, mais pas sa population.

Or, c’est totalement faux, martèle Robert Pairman.

Les avancées technologiques en dépistage génétique permettent aujourd’hui de confirmer ce que les anciens nous ont toujours dit, à savoir que nous sommes encore là !

Robert Pairman, cacique de la nation taïno jamaïcaine

Ces informations relativement récentes ont encouragé la résurgence de la nation taïno et son désir d’exister sur la carte ethnographique jamaïcaine.

Selon le cacique, il y aurait actuellement 23 familles, soit environ 2000 personnes en Jamaïque, à s’identifier à la nation taïno. C’est peu, sur une population de 3 millions.

« Dans les faits, il y en aurait trois fois plus, ajoute Robert Pairman. Mais tous ne le revendiquent pas. Pourquoi ? Par crainte d’être ridiculisés. Notre roman national a tellement raconté que nous n’existions plus que ceux qui s’affichent comme tels ne sont pas toujours pris au sérieux. Il faut raviver notre fierté. »

Des autoroutes sur les cimetières

Avec les rastafariens et les Maroons, les Taïnos sont actuellement sous la coupe d’un ministère fourre-tout, qui chapeaute à la fois la culture, le genre, le divertissement et le sport.

C’est dire la très relative importance donnée par le gouvernement jamaïcain à la réalité autochtone. Et c’est comprendre pourquoi Robert Pairman veut profiter du grand débat autour de l’identité jamaïcaine pour faire avancer la cause de son peuple.

Alors que le pays songe à se débarrasser de la monarchie constitutionnelle pour devenir une république de plein droit, de profondes réflexions ont lieu ces jours-ci concernant une nouvelle constitution. Pour nombre de groupes d’intérêt, ce moment est l’occasion rêvée de participer à la réécriture du roman national.

Nous avons une chance de réparer les erreurs du passé.

Robert Pairman, cacique de la nation taïno jamaïcaine

Entre autres revendications, le cacique évoque la préservation de sites sacrés, la reconnaissance de certaines pratiques spirituelles et la ratification par le gouvernement jamaïcain de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007), ce qui permettrait notamment de protéger certaines zones ancestrales plus sensibles. « À l’heure actuelle, rien ne les empêche de construire une autoroute sur nos cimetières », déplore M. Pairman.

PHOTO FOURNIE PAR ROBERT PAIRMAN

Robert Pairman, lors d’une déclaration d’unité avec la nation caribéenne garifuna, au musée Garifuna de Los Angeles

Sept générations

Le cacique est conscient que les Taïnos ne sont pas une priorité politique pour son gouvernement. Mais il a tissé sa toile avec d’autres nations autochtones des Amériques, en plus de sensibiliser l’ONU et l’Organisation des États américains (OEA) à son combat. Ce réseau de soutiens et d’influences pourrait faire pression sur les dirigeants jamaïcains et les inciter à considérer certaines demandes, ou à tout le moins instaurer « une forme de dialogue » pouvant ouvrir la voie à des résultats.

« Si on attire l’attention sur le plan international, nous attirerons l’attention au niveau local et nous sensibiliserons les Jamaïcains, conclut Robert Pairman. On sait que ça n’arrivera pas du jour au lendemain. Ça va prendre beaucoup de travail. Mais nous sommes patients. Notre objectif est d’assurer la survie de notre peuple pour les sept prochaines générations. Nous planifions à long terme… »