Quelques petits fanions tricolores. Des boîtes de thé à l’effigie du nouveau roi. Une petite sélection de sacs commémoratifs. Lors de mon passage à Londres à la fin du mois d’avril, j’ai dû ouvrir l’œil pour déceler des pointes d’enthousiasme à l’approche du couronnement de Charles III.

Rien à voir avec l’omniprésence des hommages à Élisabeth II dans les semaines qui ont suivi sa mort en septembre dernier. Tous les panneaux d’affichage électroniques de Londres lui étaient consacrés. Le palais de Buckingham croulait sous les fleurs et les pleurs.

En fait, à ce moment-là, c’était surtout la grande enquête du Guardian sur la fortune personnelle du roi qui retenait l’attention. Beaucoup de Britanniques avalaient de travers le fait que le gouvernement – lire les contribuables – allait éponger la facture du couronnement. Une facture évaluée par certains à près de 100 millions de livres sterling (170 millions CAN). Et ce, alors que le roi est assis sur une fortune personnelle de plus de 1,8 milliard de livres (3 milliards CAN), selon l’évaluation minutieuse du journal londonien.

Une sacrée chance que les sujets britanniques gagnent une journée fériée en échange, ironisaient mes interlocuteurs.

Et ce n’est pas qu’une question de perception. Les plus récents sondages en Grande-Bretagne démontrent que le pays n’a pas la fièvre royale. Au contraire. Le soutien à la monarchie n’a jamais été aussi bas et seuls trois Britanniques sur dix se montrent très enthousiastes à l’égard de l’institution, selon une étude d’avril du National Centre for Social Studies.

Les détracteurs ou les indifférents, eux, sont de plus en plus nombreux. Si, il y a un an, 35 % des Britanniques sondés estimaient que la monarchie n’était « pas très importante », « pas importante du tout » ou qu’il fallait « l’abolir », ils sont aujourd’hui 45 % à faire partie de ce camp. Il y a de quoi alerter les élites politiques du pays.

Et que dire de la situation chez nous, dans le royaume du Canada ? Tous les indicateurs sur l’avenir de la monarchie devraient être au rouge à Ottawa. Selon un sondage Angus Reid du début d’avril, à peine un Canadien sur quatre pense que le Canada devrait rester une monarchie constitutionnelle, soit deux fois moins qu’en 2000.

La même étude nous apprend aussi que 60 % des Canadiens s’opposent à la reconnaissance de Charles III comme roi du Canada, notamment en lui prêtant serment, en mettant son visage sur nos dollars ou encore en lui conférant le titre de chef d’État. C’est trois Canadiens sur cinq !

Et ce n’est pas une surprise. La froideur des sentiments canadiens à l’égard de la monarchie se confirme de sondage en sondage. Elle se répand d’un océan à l’autre.

Ce qui est étrange, c’est que les émanations de ce froid glacial ne semblent pas atteindre le bureau de Justin Trudeau. En fait, le chef du gouvernement fédéral fait plutôt preuve d’un empressement peu représentatif de celui de ses concitoyens à l’égard de la monarchie. Après la mort de la reine, le gouvernement canadien a reconnu le nouveau roi plus rapidement que le gouvernement britannique lui-même !

Chaque fois qu’on lui pose la question, que ce soit à Londres, à Ottawa ou à New York, le premier ministre répète qu’il ne veut pas débattre de la place de la monarchie au Canada, souhaitant « se consacrer à d’autres priorités ».

Comme si c’était impossible de faire du vélo et de mâcher de la gomme en même temps.

Je suis à peu près convaincue que le gouvernement australien ainsi que ceux de la Jamaïque, de la Grenade, d’Antigua-et-Barbuda, des Bahamas, du Belize et de Saint-Christophe-et-Niévès s’inquiètent aussi de l’inflation, des changements climatiques et du piètre état de la démocratie dans le monde. Ça ne les empêche pas de se pencher sérieusement sur la question.

Le gouvernement australien, même s’il ne compte pas tenir de référendum de sitôt, a confié à un ministre le mandat d’étudier l’affaire. En Jamaïque, un ministère consacré à la transition républicaine et un comité de réforme constitutionnelle sont déjà au travail, nous apprend le reportage de mon collègue Jean-Christophe Laurence, publié ce jeudi.

Et ne voilà que deux exemples.

Au Canada, modifier la Constitution n’est pas de la tarte. L’assentiment d’au moins sept provinces est nécessaire. Justin Trudeau n’a certainement pas oublié combien les négociations entourant le rapatriement de la Constitution, alors que son père était premier ministre, ont été longues et ont laissé des marques.

Cependant, en jouant à l’autruche, le premier ministre ne fera pas disparaître la vague de fond de remise en question qui anime à la fois l’opinion publique canadienne et celle de la majorité des 14 pays (outre le Royaume-Uni) qui ont Charles III comme chef d’État.

N’en déplaise à M. Trudeau, le débat est déjà lancé et il dépasse nos frontières. Il est temps de sortir la tête du sable et de prendre la question au sérieux à notre tour.

La discussion n’a pas à porter seulement sur d’épineux changements constitutionnels. L’Assemblée nationale du Québec a démontré en décembre dernier qu’il était possible – par un vote à l’unanimité – de mettre au rancart le serment au roi. Rien n’empêche le gouvernement fédéral de proposer des mesures semblables. Pourquoi, en 2023, les nouveaux citoyens canadiens doivent-ils prêter serment à un roi né à l’étranger plutôt qu’à la Constitution du pays ? Pourquoi nos timbres et nos billets de banque porteraient-ils le visage de ce monarque plutôt que celui d’illustres concitoyens ?

Parlons-en. Maintenant.