(Fort-de-France) « C’est comme vider l’océan à la petite cuillère » : Jean-François Bouet, médecin-urgentiste à Saint-Malo et Dinan, venu en renfort en Martinique pour aider les soignants à lutter contre l’épidémie de COVID-19, raconte avoir découvert « l’horreur » à son arrivée.

Venu pour 15 jours dans le cadre de l’appel à la solidarité nationale pour aider les Antilles, Jean-François Bouet a atterri à Fort-de-France mardi soir, il y a une semaine, avec une soixantaine d’autres soignants.

« J’ai commencé mercredi matin. L’horreur. J’ai découvert la catastrophe. J’ai trouvé un service d’urgences complètement saturé, avec 60 patients sur des brancards » décrit-il.  

Et « une équipe (de soignants, NDLR) super, mais exténuée ». « On sent que la structure hospitalière a vacillé », souligne-t-il.  

Ce volontaire de 53 ans a trouvé « normal » de venir « donner un coup de main. On n’est pas là comme donneur de leçons, pour juger ou pour révolutionner le système, on est là pour aider ».  

Affecté au Poste médical avancé, constitué de trois tentes installées devant les urgences pour faire le tri entre les patients COVID-19, les « soupçons de COVID-19 » et les non COVID-19, il dit n’avoir « pas connu une situation comme ça » à Saint-Malo.  

« 60 patients aux urgences, il y a un moment où on se sent complètement dépassé, sous l’eau, et ça a été ça au quotidien pendant deux-trois jours, c’est terrible à vivre […]. C’est comme vider l’océan à la petite cuillère, on n’y arrive pas », se souvient-il.

« On apporte de l’oxygène, mais on ne peut pas faire grand chose de plus, il n’y a pas de lits, les places de réa sont prises », explique l’urgentiste.  

Il s’interrompt brusquement : un nouveau patient vient d’arriver, allongé sur le ventre sur un brancard des pompiers.

« Ça c’est un cas grave, quand il arrive sur le ventre, c’est pas bon », dit-il.

Avec des infirmiers du Samu, il s’active aussitôt autour de l’homme de forte corpulence. « Bonjour Monsieur, ça a commencé quand les signes (de la maladie) ? », demande-t-il au malade, conscient mais affaibli, et rapidement placé sous oxygène.

Très vite, l’urgentiste appelle pour demander une place à l’intérieur, et offrir au patient un débit d’oxygène supérieur.

« Un patient comme ça, le principal, c’est la rapidité de la prise en charge », explique-t-il.  

Effet confinement

Le flot d’ambulances et de fourgons de pompiers qui emmène des patients est continu, mais moins important que les jours derniers. « Ça s’est calmé. On a encore des COVID-19 graves qui arrivent, l’épidémie n’est pas finie, mais il y en a moins pour l’instant », veut espérer M. Bouet.

« Cela fait trois jours qu’on note une stagnation des entrées de patients suspects COVID-19 », confirme le chef du service des urgences, Yannick Brouste.  

Il constate également « la baisse des appels téléphoniques au niveau de la régulation du centre 15, ce qui nous permet de penser qu’on serait peut-être sur un plateau. Certes, il est haut, mais on a l’impression qu’on stabilise un peu les entrées ».

Lundi, la Martinique comptabilisait un taux d’incidence en baisse, à 928 cas pour 100 000 habitants, mais encore 13 morts supplémentaires en 24 heures.

Selon M. Brouste, c’est « l’effet confinement », dont la phase 2, très stricte, dure depuis deux semaines. « On espère qu’il va se poursuivre avec la décroissance qui va avec ».   

Aux urgences, les couloirs, qui débordaient de brancards et de malades, lors de la visite du ministre de la Santé Olivier Veran le 12 août dernier, se sont désengorgés, seulement trois ou quatre patients y sont encore installés.

« Mais l’hôpital reste saturé, 95 % des lits de soins critiques sont occupés, comme 97 % des lits des étages », prévient le chef de service, qui grâce aux renforts, peut quand même « assurer la continuité des soins ».

Et le personnel est « fatigué, moralement et physiquement », précise le chef des urgences. « Ça a été très dur de voir ce qu’on a vu, ça a été assez hard ».

Réservistes, solidarité nationale, pompiers, des centaines de renforts sont venus de métropole ces dernières semaines. Mais le président de la collectivité territoriale, Serge Letchimy, en a demandé d’autres dans une lettre au premier ministre.