(Cap-Haïtien) Les funérailles de Jovenel Moïse se sont terminées sous haute tension, vendredi. Des manifestants ont chahuté les dignitaires qui quittaient les lieux, demandant justice pour l’ancien président inhumé dans la région où il avait grandi, dans le nord d’Haïti. Le directeur général de la police nationale haïtienne, Léon Charles, a même été invectivé par des partisans du défunt durant la cérémonie.
« Voilà Léon Charles dans la voiture blanche ! », lance Ketline Dacius, 40 ans, à la vingtaine de personnes qui l’entourent debout sur un échafaudage. « Au voleur, arrêtez-le ! », poursuit-elle à tue-tête.
Mme Dacius et ses voisins habitent tout près du terrain familial de la famille Moïse où ont lieu les funérailles. Ils ont escaladé une structure pour atteindre le haut du mur de pierres qui protège le terrain et observer la scène. Devant eux, près de la tombe du père de Jovenel Moïse, neuf grandes tribunes destinées aux dignitaires ont été érigées. Le cercueil de l’ex-président est au centre, sur un podium drapé de tissu et de fleurs.
« Les criminels sont là, ils nous regardent et nous entendent. Justice, justice, justice pour mon mari », a conclu quelques minutes plus tôt l’ex-première dame dans son discours.
Première intervention publique de Martine Moïse
C’était la première intervention publique de Martine Moïse depuis l’assassinat de son mari. Son discours très engagé a dénoncé la corruption et les familles riches du pays, décrivant Jovenel Moïse comme un homme intègre.
« Les oligarques t’ont eu, mais la bataille n’est pas terminée », a dit Martine Moïse, vêtue de noir, dans un discours précédé par celui de son fils, Joverlein Moïse.
Le père de Jovenel Moïse était un agriculteur issu d’un milieu modeste devenu un important entrepreneur de la région. Jovenel Moïse a suivi les traces de son père dans la production agricole avant de se lancer en politique en 2015. Inconnu de la majorité des Haïtiens à l’époque, il était considéré comme le dauphin de l’ancien président et chanteur populaire Michel Martelly, en poste de 2011 à 2016 et absent de la cérémonie.
« Il a été traité de tous les noms sous l’anonymat des réseaux sociaux, derrière la toute-puissance des micros et les pointes des stylos vendus à prix d’or cachés sous des titres ronflants dont ils s’affublent », a ajouté Mme Moïse dans son discours. Son mari a affronté de nombreuses critiques et manifestations avant sa mort, en particulier durant les trois dernières années de son mandat.
C’est un cauchemar duquel je n’arrive pas à me réveiller.
Martine Moïse, veuve de l’ex-président d’Haïti Jovenel Moïse
Dans l’attente de la justice
Du haut de son mur de pierres, Mme Dacius explique qu’elle n’a pas pu entrer par la grande porte pour assister aux funérailles. « Quand on demande justice, c’est pour tout le monde », dit-elle, avant d’ajouter : « Ils ne veulent pas voir les paysans à l’intérieur. »
C’était « son » président, explique-t-elle, en mettant sa main sur son cœur. « [Sa mort] a été un choc. »
« Mais où était la sécurité [du président Jovenel Moïse] ? », ajoute alors un voisin de Mme Dacius, 61 ans, au moment où les premiers invités commencent à partir et que des coups de fusil se font entendre au loin. Deux colonnes de fumée indiquent la présence de barricades en feu, signe indéniable de manifestants en colère.
Comme Mme Dacius et son voisin, les protestataires rendent responsable le directeur général de la police nationale de la faille de sécurité révélée par l’assassinat de Jovenel Moïse dans sa demeure le 7 juillet. Ce dernier chapeaute aussi l’enquête sur l’assassinat du président qui a mené à 26 arrestations jusqu’à présent.
Tant les élites haïtiennes, à la peau souvent plus claire, que la communauté internationale sont aussi montrées du doigt par une partie des manifestants pour la mauvaise gestion du pays.
Dès la fin du discours de Martine Moïse, plusieurs délégations ont d’ailleurs quitté les lieux en vitesse pour tenter d’éviter les débordements. Leur sortie s’est faite sous importante escorte armée. Les policiers, fusils militaires à la main, ont débloqué certaines routes barricadées et repoussé des manifestants, avec du gaz lacrymogène, entre autres. On rapporte au moins un blessé par balles au pied, selon certains manifestants.
L’ambassadeur du Canada à Port-au-Prince, Stuart Savage, et l’ambassadeur du Canada à l’ONU, Bob Rae, avaient aussi fait le déplacement. Ils ont pu retourner sans encombre à Port-au-Prince, a confirmé l’ambassade du Canada à Port-au-Prince à La Presse. Bob Rae était même déjà en Floride hier soir.
Le directeur général de la police nationale d’Haïti a aussi réussi à quitter les lieux, mais dans une voiture banalisée, entouré de nombreux policiers armés.