(Port-au-Prince) La banlieue est de Port-au-Prince, Pétion-Ville, où se situe la résidence privée du président Jovenel Moïse assassiné dans la nuit de mardi à mercredi, a été le théâtre toute la journée jeudi d’une opération policière. Les derniers membres présumés du commando à l’origine du crime qui a bouleversé le pays étaient toujours activement recherchés et une grande partie de la municipalité était fermée à la circulation. Notre journaliste était sur place.

Quatre coups de feu au loin. « Tu entends les tirs ? » Quelques journalistes haïtiens, une poignée de vendeurs ambulants et des dizaines de personnes suivent l’opération policière et en débattent en face du commissariat de Pétion-Ville. La place Saint-Pierre est le dernier point accessible à la circulation devant les collines qui s’étendent sur des kilomètres de résidences parfois cossues.

PHOTO VALERIE BAERISWYL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des membres des forces de sécurité ont échangé des coups de feu avec des hommes armés non loin de la résidence privée du président assassiné dans la nuit de mardi à mercredi.

« C’est comme ça depuis ce matin », résume Laurence Magloire, productrice et cinéaste qui a grandi à Montréal. La Presse l’a rejointe chez elle derrière le commissariat, dans cette zone barricadée par la police depuis mercredi. « Hier [mercredi], ça a tiré jusqu’à 8-9 h du soir, ça tirait, ça tirait, ça tirait. »

Des policiers, plusieurs en uniforme et encagoulés, contrôlent les deux seules routes d’accès en voiture à la zone.

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Une foule suit un véhicule de police qui se dirige vers le commissariat dans les rues étroites de Pétion-Ville

Pendant le passage de La Presse, l’un des policiers montre le journaliste du doigt, seule personne visiblement étrangère sur place : « Est-ce que ce n’est pas l’un d’eux ? »

« Ah, OK, journaliste, ajoute-t-il, il faut être prudent, on est sur les dents. »

« Pour les gens à la peau claire, ce n’est pas le bon moment pour prendre la rue dans le quartier aujourd’hui », résume un autre passant qui a tenu à nous avertir.

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Des gens accueillent un camion de police arrivant au commissariat de Pétion-Ville, où des hommes armés, soupçonnés d'être les assaillants du président Moïse, sont détenus.

Les rues sont restées généralement très calmes jeudi dans la région de Port-au-Prince et dans la plus grande partie du pays. Les transports publics, les banques et les grands commerces sont restés fermés. Le premier ministre a demandé la réouverture de l’aéroport de Port-au-Prince et les premiers vols commerciaux devraient avoir lieu vendredi. Le choc est toujours grand dans la population et peu de détails sur les arrestations ont circulé avant la fin de journée.

La désolation dans la population

« C’est une humiliation », résume Laurence Magloire pour expliquer la réaction des gens face à l’assassinat du président.

Ce n’est pas seulement Jovenel qu’on a tué, c’est la présidence. C’est ça qui est important. C’est le symbole.

Laurence Magloire, résidente de Pétion-Ville

Elle raconte qu’elle n’est pas sortie de chez elle depuis deux jours, si ce n’est pour regarder la rue à partir de son entrée.

« On n’est plus rien si on rentre chez toi et on tue ton président comme un chef de gang, explique-t-elle. Même si on n’aimait pas Jovenel ou ce qu’il faisait, que ton président soit tué chez lui, quand il a une sécurité de vingt voitures… »

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Une foule en colère est sortie protestée contre l'assassinat du président haïtien dans les rues de Pétion-Ville.

Un long convoi présidentiel était connu pour dévaler les pentes de la capitale pour se rendre presque quotidiennement jusqu’au palais présidentiel au bas de la ville.

Comme pour certains prédécesseurs du président, l’équipe d’élite qui est responsable de sa sécurité était souvent composée d’étrangers, rappelle Mme Magloire. La plupart des suspects présentés par les médias jusqu’à présent seraient aussi étrangers.

« Qu’un président de ton pays, que tu aimes… » Elle reprend son souffle. « J’ai laissé le Canada pour être ici. Je ne suis pas d’accord avec Jovenel, mais que le président se fasse tuer chez lui, ça, je ne comprends pas. »

« Je ne vois rien pour l’avenir », se désole-t-elle.

Je ne sais pas ce que je vois, je ne sais vraiment pas. Je suis dans le noir. Je ne vois pas ce qu’on peut faire. […] Le pouvoir, c’est rendu ça en Haïti : des postes pour mettre de l’argent dans ses poches.

Laurence Magloire, résidente de Pétion-Ville

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Militaires et civils se côtoyaient dans les rues de Pétion-Ville jeudi, où la traque des assaillants de Jovenel Moïse battait son plein.

Au même moment, sur la place Saint-Pierre, les esprits s’échauffent. On entend des cris de joie tout près.

Il semble qu’un convoi de policiers descende la colline. « Ce sont les deux derniers mercenaires arrêtés », explique un vendeur ambulant. En quelques secondes, des dizaines de personnes se rassemblent et célèbrent devant le commissariat, les bras en l’air, la possible arrestation.