«De nombreuses vaches sont mortes après l'accident nucléaire car les éleveurs n'ont pu les nourrir. Maintenant, c'est à notre tour de mourir de faim». L'éleveur japonais Masami Yoshizawa est désespéré par l'interdiction du boeuf de Fukushima qui le prive de son gagne-pain.

Comme les autres éleveurs de cette préfecture du nord-est du Japon, M. Yoshizawa a vu sa vie basculer le 11 mars à cause de l'accident à la centrale nucléaire Fukushima Daiichi, inondée par un tsunami géant consécutif à un séisme sans précédent.

Les réacteurs ont émis d'importantes radiations qui ont forcé l'évacuation de plus de 80 000 personnes dans un rayon de 20 km. M. Yoshizawa se rend depuis, une fois par semaine, dans cette zone interdite, muni d'un permis spécial, pour y nourrir les 300 têtes de bétail dont il s'occupe dans diverses étables.

Mais dans la confusion, d'autres éleveurs n'ont pu s'occuper de leurs bêtes dans les environs de la centrale, ce qui a entraîné la mort de milliers d'entre elles.

Son existence bouleversée et inquiet pour sa santé, M. Yoshizawa a vécu comme un coup de grâce la décision, mardi, du gouvernement japonais d'interdire la vente du boeuf de Fukushima, après la découverte de taux de césium radioactif supérieurs à la norme dans de la viande locale.

Employé d'une étable dans le hameau de Nihonmatsu, Yoshiyuki Genei craint que les éleveurs ne perdent courage. «Cela prendra cinq ans, dix ans ou davantage pour résoudre l'accident, mais les paysans ne peuvent attendre aussi longtemps».

Les autorités espèrent abaisser la température des réacteurs sous les 100 degrés Celsius («arrêt à froid») d'ici à janvier, mais le démantèlement des installations et la décontamination du site prendront des décennies.

Les promesses officielles d'indemnisation ne rassurent en rien les agriculteurs de la préfecture, grande pourvoyeuse de boeufs avant le désastre.

«Malgré l'interdiction, les éleveurs doivent continuer de nourrir leurs bêtes, avec du foin sûr, mais qui coûtera plus cher», souligne Yu Matsukawa, directeur à l'Association de l'Élevage de Fukushima.

Les boeufs ont été contaminés en mangeant du fourrage entreposé dehors et exposé aux radiations après l'accident. Les paysans n'auront désormais d'autre choix que d'acheter du fourrage dans d'autres régions du Japon.

«Vous croyez qu'il existe un seul fermier qui voudrait menacer la santé de ses clients? La radioactivité n'est pas de la faute des éleveurs, ils en sont victimes», martèle M. Matsukawa.

L'angoisse est montée chez les consommateurs japonais lorsqu'il est apparu que de la viande de Fukushima avait été vendue, et souvent déjà consommée, aux quatre coins du Japon ces dernières semaines.

Les autorités et experts ont beau rappeler qu'il faudrait en manger tous les jours pendant un an pour être affecté, la phobie est déjà ancrée.

«Nous vendons du boeuf de Fukushima qui a passé avec succès les tests de radiations, mais personne n'en veut», témoigne un employé d'une boucherie de la ville de Fukushima (capitale de la préfecture homonyme).

En dépit de l'interdiction toutefois, du boeuf de Fukushima se trouve toujours en rayons, sous forme de viande hachée ou d'abats, dont l'origine n'est pas obligatoirement indiquée aux consommateurs.

«J'essaie d'acheter des aliments venant de l'extérieur, mais c'est difficile à trouver», explique Sumiyo Sakuma, une mère de famille résidant dans la ville de Fukushima. «Je ne veux pas que mes enfants mangent du boeuf ou quelque autre nourriture produite à Fukushima».

Certains experts conseillent au gouvernement d'étendre le champ d'interdiction au nom du principe de précaution, l'ingestion régulière de nourriture radioactive accroissant à terme les risques de maladie, notamment de cancer.

«Le gouvernement doit stopper la vente de tous les aliments de Fukushima et pleinement indemniser les agriculteurs», estime Katsuma Yagasaki, spécialiste des effets de la radioactivité sur l'homme.